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LES REINES DU DRAME

Un film de Alexis Langlois

Galaxy Queer

Mimi Madamour et Billie Kohler sont deux chanteuses qui se rencontrent pour la première fois lors d’un concours de chant télévisé. Une romance s’enclenche très vite entre elles, mais rencontre tout aussi vite de puissants tumultes dès lors que la première connaît un grand succès populaire avec des chansons pour ados et que la seconde s’en écarte au profit d’une renommée clandestine en tant que punk rockeuse. L’influence d’un fan youtubeur, maladivement amoureux de Mimi et terriblement jaloux de Billie, ajoutera encore de l’huile sur le feu de la passion…

On avait déjà pu se faire une idée du travail d’Alexis Langlois via son court-métrage "Les Démons de Dorothy", sorte de bulle queer-pop déployant un goût très prononcé de l’artifice et du fétichisme au service d’une intrigue mettant déjà en avant la créativité artistique et le thème de la difficulté d’aimer. Résultat très personnel, assez prometteur dans sa facture, mais limité par sa durée autant que par son concept. De ce fait, "Les Reines du drame" avait tout de l’examen de passage sur grand écran, permettant enfin de savoir si son jeune auteur allait pouvoir prendre son envol. Cela dit, inutile de se le cacher : de par son postulat et son trailer (déjà surchargés de références pop tangibles et d’iconisations en cascade), ce premier long-métrage laissait glaner quelques appréhensions. En vrac : la possibilité de se retrouver face à un OVNI filmique sans réelle ligne directrice, l’exhibition plein cadre d’un imaginaire queer autocentré qui exclurait les non-initiés, voire même un potentiel défilé d’artifices XXL et d’effets de style hype pour congestionnés de TikTok. Il n’en est finalement rien. Parce qu’Alexis Langlois a non seulement su viser large en ayant bien conscience de la réelle signification du mot « populaire », mais parce qu’il a surtout su manipuler, avec tact et personnalité, l’art casse-gueule du mélange des genres sans essayer de « faire genre » (en gros, sans s’échiner à faire son malin avec les éléments et les références qu’il manipule). Le résultat, singulier et généreux à tous les degrés de fabrication, ne ressemble à rien de connu et sent déjà très fort le parfum du culte.

Le plus fou dans l’affaire est d’avoir pris le risque de se réapproprier les canons narratifs et esthétiques de plusieurs formes médiatiques (en l’occurrence le télé-crochet genre Nouvelle Star et les chaînes YouTube avec leurs vlogeurs à fond dans la frime hystéro) pour en faire dévier la logique sous l’angle de l’imaginaire queer. En cela, il est absurde de reprocher au film d’user à n’en plus finir du gimmick kitsch et de l’auto-parodie à fond les turbines, puisque toute la force de cet imaginaire-là réside dans le fait de se réapproprier des codes et des modes pour les retravailler sous un angle on ne peut plus bigarré. Alexis Langlois fait donc ainsi office de DJ décomplexé, malaxant et compilant tout ce qui peut stimuler son regard de cinéaste et son cortex de cinéphile. Viennent donc ici se bousculer à la pelle des clins d’œil divers à George Cukor, à Pedro Almodovar, à Jean Genet, aux stars de musique pop adolescente (Britney Spears, Mariah Carey, Mylène Farmer, Alizée ou Ophélie Winter), à la compétition médiatique cryto-M6 sur fond de romance shakespearienne, au musical transgenre à rendre gaga les addicts de Drag Race, voire même aux artifices les plus outranciers du cartoon et du pastiche cinéphile. Le réel et le fantasme se font ainsi réciproquement du coude pour un filtrage tous azimuts, vivier d’une énergie sans commune mesure qui ne freine jamais sur un peu moins de deux heures pleines à craquer.

Ce que l’on en retire ne relève en rien d’un quelconque brouillon qui tirerait à hue et à dia sans souci de cohérence. Revisitant les aléas du rise and fall d’"Une étoile est née" sous l’angle de la rivalité amoureuse post-ado (un repère suffisamment familier pour partir sur de bonnes bases), le récit repose sur une structure solide qui met l’identification émotionnelle au-dessus de la seule jouissance visuelle (même si c’est parfois ici la seconde qui soutient la première), et fait en sorte d’installer ses références aux bonnes articulations narratives au lieu de les télescoper à l’aveugle. L’utilisation des codes du musical, ici source génératrice de passages à la fois très drôles et très crus (ce n’est pas tous les jours que vous entendrez des chansons comme Go musclés ou Fistée jusqu’au cœur !), suit la même logique en visant à capturer le plus précisément possible les variations sentimentales des protagonistes, leurs transformations réciproques au gré des épreuves traversées, leur colère quasi-punk qui se teinte en boucle d’une profonde mélancolie, et aussi, plus généralement, les courants musicaux tantôt lyriques tantôt bariolés qui caractérisent la galaxie queer. Enfin, en superposant à tout cela la structure d’un conte narré à rebours par un youtubeur amateur de potins, Langlois élève au cube la lecture fantasmatique de son récit, comme pour mieux mythifier ses icônes queer et les élever in fine au rang d’icônes bigarrées dans un ultime climax plus ouvert à l’interprétation qu’il n’en a l’air.

Il est toutefois évident que le procédé rencontre de temps en temps ses propres limites, une telle somme de travail plastique étant de facto conditionnée à tutoyer tôt ou tard sa propre surchauffe en vase-clos. De même que certains spectateurs, sans doute peu familiers d’une telle déferlante de codes esthétiques et sensoriels, risquent d’avoir du mal à se sentir dans leurs pantoufles au bout de cinq minutes et de rester à quai en pestant sans nuance. Or, quand bien même "Les Reines du drame" appuie fortement sur sa démarche d’anthologie vivante et vibrante de la culture queer, la générosité dont il fait preuve (infiniment plus cool et respectable que l’ascèse proprette d’un cinéaste coincé du derche), la puissance romanesque qu’il ne cesse de touiller à vitesse volontairement irrégulière (ceux qui raffolent de vivre mille émotions contradictoires en dehors de leur quotidien seront aux anges) et le jeu archi-habité de ses interprètes (outre les épatants Gio Ventura et Louiza Aura, mention spéciale à Bilal Hassani dans un rôle plutôt inattendu) ont ici raison de la moindre critique. À l’image des "Rencontres d’après minuit" de Yann Gonzalez, on se retrouve ici de nouveau face à un premier film évanescent, aussi riche de singularité que de mélancolie, où le jeu sur les artifices n’est en rien synonyme d’artificialité et où l’universalité des émotions vise à transcender les modes et les opinions tranchées. C’est vivant parce que ça vibre à l’écran, c’est vibrant parce que ça se vit sur grand écran.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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