LES FILS QUI SE TOUCHENT

Un film de Nicolas Burlaud

Errance mémorielle

A 50 ans, le réalisateur Nicolas Burlaud se retrouve atteint par une violente épilepsie pour cause d’hippocampe dysfonctionnel. La maladie active alors chez lui le désir de revisiter sa mémoire, en particulier celle, collective et alternative, que lui et ses acolytes fabriquent depuis plusieurs années via une télévision de rue…

Dès l’interview d’un homme qui assimile le rôle de l’hippocampe pour l’esprit humain à celui d’un index dans une bibliothèque, le sens du projet plastique et narratif de Nicolas Burlaud ("La Bataille de la plaine", "La fête est finie") paraît s’éclairer un minimum : tout repose ici sur un dispositif ouvertement chaotique, visant à entremêler différentes scènes aux antipodes (sur le visuel, sur l’époque, sur le sujet…) et à recourir à la fonction purement sensorielle du cinéma pour recomposer une mémoire menacée par l’oubli. On perçoit là une belle et forte idée de cinéma, propice au vertige autant qu’à la stimulation. On croit d’ailleurs en prendre le pouls dès le premier quart d’heure, au travers d’une suite d’expérimentations plus sonores que visuelles, où un kaléidoscope de perspectives et de travellings latéraux se voit parcouru par un entrelacement de bruitages divers, à mi-chemin entre le brouillage et le pulsatif. Rien qu’avec ce parti pris, les choix de montage font plutôt sens par rapport au sujet… du moins sur la théorie. Parce que sur la pratique, il manque ici un élément essentiel.

Dans la mesure où l’expérience se devait de façonner une sorte de pont infra-sensible entre une maladie en action et une mémoire en réaction (qui plus est celle d’un combat associatif et humaniste qu’il s’agit d’« archiver »), la réussite de ce documentaire ne tenait pas seulement sur la façon dont ces deux fils allaient se toucher, mais surtout sur la façon dont ils allaient interconnecter jusqu’à ne faire plus qu’un. C’est là que le film tend à valider l’expression péjorative qui lui sert de titre : il est trop déséquilibré en tant que tel pour que des raccords forts puissent espérer relier les fils de ce gros bazar mémoriel. En vrac, on y voit un plan onirique à la sauce LSD (a priori l’exploration interne d’un cerveau), un spot vidéo de « télévision de rue » dont le montage ferait presque songer à celui d’une scène coupée de "Level Five", l’activité d’un neurone gribouillée sur un logiciel à la Paint, une évocation d’actualités récentes (les manifestations des Gilets Jaunes, un effondrement d’immeuble à Marseille, etc…), des images faussement abstraites qui sentent le cadrage lourdement symbolique (un gros plan sur les écorces d’un arbre malade… vous pigez ?), des radios médicales en veux-tu en voilà, et tout un tas d’archives DV… Pas simple de démêler les fils dans cet énorme capharnaüm dont le montage hasardeux laisse souvent à désirer.

Pour le reste, au-delà d’une voix off pas crédible pour un sou (juste un texte lu à voix haute, à débit lent et sans conviction aucune), une poignée d’interviews face caméra se la jouent un peu paraphrase du dimanche ou lapalissade du lundi (ainsi donc, la réalité serait une « représentation floue » et non une « photo claire », la mémoire humaine n’aurait rien à voir avec celle d’un ordinateur…). Et au terme de cette petite heure et quart qui s’achève dans la même sensation de flou qu’à son début, on s’attriste surtout de n’avoir jamais vu cette remémoration de l’engagement politique du réalisateur servir d’écho stimulant (ou de contraste combatif) à la progression de cette maladie. Ici, la politique est moins un angle qu’un sujet interchangeable, et la maladie finit par n’être qu’une simple toile de fond, tantôt floutée tantôt ressurgie au gré du découpage. La déception est considérable.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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