LES ARÈNES
La surface de dégradation
Brahim est un jeune footballeur prometteur de dix-huit ans. Représenté par son agent et cousin Mehdi, il est sur le point de réaliser son rêve : signer son premier contrat professionnel. Mais l’arrivée d’un puissant et énigmatique agent étranger change tout de suite la donne vis-à-vis de ses ambitions et de sa relation de travail avec Mehdi…

Il serait intéressant d’essayer de cibler pourquoi la connexion entre le cinéma français et le football n’a jusqu’ici pas fait de score particulièrement élevé. Parce qu’à l’exception du mythique "Coup de tête" de Jean-Jacques Annaud, les tentatives pseudo-comiques signées Fabien Ontentiente, Philippe Dajoux ou Olivier Dahan ont surtout brillé par leur inconsistance créative et scénaristique. On pouvait se dire qu’une possible stratégie de sortie consisterait à s’immerger moins sur la pelouse que dans les coulisses de ce sport devenu une gargantuesque pompe à fric, gavée de divers enjeux que l’on imagine aussi souterrains que potentiellement corrompus. En prenant la suite du récent "Mercato" de Tristan Séguéla (sorti en février dernier), "Les Arènes" paraissait désireux de prolonger la démarche en creusant cet espace feutré de négociations pressurisées où l’on parle davantage d’argent que de sport, et où l’apparence semble avoir plus de poids que le talent. Hélas, trois fois hélas, le résultat enfile les cartons rouges comme des perles.
Reconnaissons toutefois à la jeune Camille Perton d’avoir trouvé un ou deux angles méritants pour se démarquer dans le traitement du sujet. Louable est en effet ce parti pris visant à explorer les coulisses du monde de football sans jamais montrer un seul match professionnel à l’écran (tout juste assistera-t-on à quelques jeux de ballon dans un quartier de banlieue). De même qu’en guise de point culminant d’un parcours professionnel déjà vérolé de l’intérieur à la base, l’arrivée du jeune protagoniste dans un Monaco vite perçu comme un faux éden, puis dans un pays étranger qui pratique l’élevage et le formatage de jeunes recrues à la manière d’animaux nourris dans une ferme, ose presque relier l’enjeu du récit à celui d’un authentique film carcéral, avec un héros projeté malgré lui dans une prison à ciel ouvert (plan très évocateur d’un stade vide avec une toute petite silhouette écrasée par la perspective). Le souci majeur, c’est que cet angle-là arrive beaucoup trop tard (en gros, dix minutes avant la fin !) pour impacter notre ressenti et sauver tout ce qui a précédé. Parce qu’avant d’en arriver là, toute la phase de stratégie narrative s’est écroulée à peu près aussi vite que les choix tactiques de Raymond Domenech.
Dans cet univers où chacun fait mine de servir les intérêts de son client pour mieux prioriser les siens propres, mais surtout où les rapports humains sont redéfinis en rapports de propriété, il pouvait certes paraître pertinent d’évoquer le sportif comme étant avant tout un objet de convoitise, voire de désir. Camille Perton va cependant un peu trop loin dans le raisonnement à force d’installer quasi continuellement une tension homoérotique franchement hors-sujet, d’abord au travers d’un grotesque shooting photo en mode « dieux du stade huilés pour affiche de club gay », ensuite par l’arrivée d’un Edgar Ramirez de plus en plus « entreprenant » dans ses regards et ses mots vis-à-vis du jeune Brahim. À tel point qu’on en vient à se demander si le film n’aurait pas changé de propos et de direction en cours de route pour se réincarner en une ban(c)ale relation triangulaire sur fond de jalousie. À côté de cela, la plupart des échanges dans des intérieurs clos ne déploient ni énergie ni tension (rien de plus que des jeux de regards éteints dans des décors impersonnels et sans relief), l’écriture des dialogues égale presque "Plus belle la vie" en matière de brassage de vide, et on s’interroge encore sur cet ancrage de la culture lyonnaise au détour de quelques scènes (quid de cet instant furtif où l’on vante la qualité de la tarte au sucre locale ?!?).
Même le casting ne peut rien faire pour rééquilibrer le score, et on ne peut même pas réellement leur en vouloir, tant les caractères qu’ils sont ici chargés d’incarner ont laissé l’étoffe et la nuance au fin fond du vestiaire. À la rigueur, peut-être qu’Edgar Ramirez s’en sort sans trop de dommages à force d’embrasser ce jeu de pure surface, en dépit d’un choix de non-doublage qui rend le tiers de ses répliques assez difficiles à saisir. Mais la sortie de terrain est pour le coup clairement destinée au jeune Iliès Kadri, inexpressif et anti-charismatique d’un bout à l’autre pour cause de mono-expression très contre-productive en matière de mercato ciné. C’est peut-être là le plus gros problème de ce premier long-métrage : ce profond manque d’écriture et de caractérisation à l’œuvre dans "Les Arènes" fait que l’on perd peu à peu tout espoir de voir la profondeur d’un quelconque enjeu atteindre la surface de réparation. Preuve en est cette scène finale aux relents de conclusion expédiée, qui laisse le flou sur ce que fut le parcours réel du jeune rookie pour se contenter de cristalliser avec facilité ce à quoi il aspirait, à savoir s’offrir un cocon protecteur à l’aura de prison dorée. C’est ce qui s’appelle siffler la fin du match.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur