LE SYSTÈME VICTORIA
Un redoutable thriller
David, ancien architecte, a accepté par nécessité d’être directeur de chantier sur la construction d’une grande tour de bureaux à La Défense, dont le projet a été arrêté pendant des années. Soumis à la pression du client, qui refuse tout retard dans la livraison, il doit aussi s’occuper de sa fille dont il a la garde alternée avec son ex-femme. Passant acheter un cadeau pour l’anniversaire de celle-ci à la fermeture d’un magasin de jouets, il fait la connaissance de Victoria, VP d’une société de ressources humaines, qui lui propose de prendre un verre lorsqu’il passera voir son patron à Bruxelles. Alors qu’ils dînent ensemble, le discours qu’elle lui tient, en fine psychologue, convainc David de ne finalement pas démissionner…

Découvert au Festival d'Angoulême 2024, "Le Système Victoria" est également passé depuis par le Festival Chefs'Op en Lumière 2025, où il a reçu un très bel accueil. Tiré du roman éponyme d'Éric Reinhardt (2011), que s'est réapproprié Sylvain Desclous, en changeant la fin, mais aussi pour laisser le spectateur se faire sa propre idée de la nature fortuite ou non de la rencontre entre David et Victoria, femme mystérieuse et fascinante qui va attirer irrésistiblement le chef de chantier récemment séparé. Alternant dans des plans savamment cadrés, afin de composer un thriller tranchant, loin d'un aspect documentaire, entre des lieux aux couleurs froides qui correspondent au chantier (celui d'une tour de bureaux à La Défense et de diverses salles de réunion) et la chaleur des intérieurs où il rencontre Victoria (hall d'hôtel, restaurant...), le film se meut en un thriller implacable sur le milieu de la construction.
Damien Bonnard y interprète avec ce qu'il faut de fragilité et de fougue un chef de chantier engagé et droit, qui a dû renoncer à ses rêves d'architecte, faute d'avoir percé dans ce milieu starisé. Se voyant ici pris en étau entre une proposition peu honnête visant à lui faire dépasser les délais, des objectifs impossibles à tenir fixés par son employeur, et des perspectives inattendues incarnées par Victoria, c'est lui qui sera le personnage central, ses dilemmes devenant presque ceux du spectateur. Face à lui, Jeanne Balibar est tout juste impériale, distillant ce qu'il faut d’ambiguïté derrière une façade mêlant habilement distance et séduction. Si on ne la retrouve pas aux César l'an prochain, ce sera vraiment regrettable. Fine observation d'un milieu impitoyable, où chacun est le pion d'un autre, les petits étant implacablement exploités par les riches et puissants, "Le Système Victoria", réalisé avec brio par Sylvain Desclous (déjà derrière l'également très politique "De Grandes espérances") fait à la fois froid dans le dos et séduit par le drame humain qu'il mijote et la pointe d'espoir dont chacun fera ce qu'il veut au final.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur