LE MOHICAN
Un western dans le maquis
Joseph est l’un des derniers bergers du littoral corse et demeure très attaché à son exploitation agricole. Dès l’instant où le milieu se met à convoiter son terrain pour un projet immobilier, ses réticences lui valent d’être de plus en plus mis sous pression, jusqu’au jour où il tue par accident l’homme qui était venu l’intimider. Désormais en fuite dans le maquis et traqué par des hommes armés, il devient malgré lui un symbole de résistance, porté par les réseaux sociaux et le soutien de sa nièce Vannina…

Après le film noir urbain et parisien ("La Nuit venue"), le western rural et corse ? Oui, mais comme pour le film précédent de Frédéric Farrucci, l’intérêt tient sur l’équilibre entre le respect des conventions du genre et la lecture politique qui conditionne le choix du genre. Cela dit, avouons qu’en surface, "Le Mohican" paraît cocher toutes les cases de la fiction criminelle lambda, avec tout ce que cela peut comporter de lieux communs liés au microcosme corse. En vrac : particularismes régionaux en cascade, protagoniste rural sous pression (Alexis Manenti, étrangement privé d’énergie et de charisme), caractérisation sommaire des antagonistes (toujours les petites frappes avec flingue armé et sac banane en bandoulière qui jouent les terreurs avec le charisme d’une moule), sans oublier le fond du récit centré sur des groupes mafieux misant tout sur la spéculation foncière et la politique du tout-tourisme au détriment des traditions ancestrales. Avec tout ça, le résultat aurait tout pour faire croire à un épisode rallongé de "Mafiosa", clichés compris. Sauf qu’il vaut mieux ici parler d’archétypes que de clichés, le regard précis et réfléchi d’un réalisateur attaché à la réalité de son territoire suffisant à élever le récit vers une autre dimension, à la fois cinéphile et symbolique.
« Quand la légende est plus forte que la réalité, il faut imprimer la légende », ironisait autrefois John Ford dans "L’homme qui tua Liberty Valance" afin d’appuyer sa lecture désenchantée d’une Amérique éternellement bâtie sur des mythologies. Dans cette Corse westernienne où les conflits de territoire et de civilisation vérolent les rapports humains et uniformisent l’espace, Farrucci met autant en perspective la banalité de l’héroïsme que la naissance d’une légende moderne, et acte la transformation d’un acte individuel en symbole de résistance collective, avec les réseaux sociaux pour amplifier la propagation du mythe – un angle bien trouvé qui appuie la modernité et l’universalité du propos. Reste ce procédé assez pénible consistant à faire passer des informations en cadrant des conversations par SMS : aussi justifié soit-il par le scénario, difficile de ne pas continuer d’y voir un cache-misère narratif. Laissons tout de même ce léger couac de côté pour retenir avant tout du "Mohican" cette idée d’une relecture fordienne à la fois modeste et contemporaine, où la notion même de mythologie s’écrit avec des points de suspension et s’inscrit dans l’âme du territoire exploré.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur