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LE GOÛT DE LA HAINE

Un film de Jan Komasa

Manipuler et… réussir pour séduire ou séduire pour réussir ?

Alors qu’il se sent rejeté par certaines élites urbaines, le jeune Tomasz bifurque dans l’économie du cyberharcèlement et de la diffamation en ligne, où il va progressivement exceller…

Sortie le 29 juillet 2020 sur Netflix

Jan Komasa confirme son goût pour les personnages de jeunes hommes complexes en livrant un nouveau récit que d’autres auraient orienté vers une tonalité bien plus manichéenne. Dans "La Communion", Komasa parvenait déjà à montrer la religion sous un double regard, la présentant à la fois comme un instrument de domination et de manipulation mais aussi comme une possibilité d’émancipation et de rachat, avec un jeune homme aux multiples défauts chez qui l’on pouvait percevoir également de louables intentions au point d’avoir envie de lui laisser une seconde chance. Dans "Le Goût de la haine" (sorti en salles en Pologne puis montré et primé au festival Tribeca avant d’être mondialement diffusé sur Netflix), c’est encore plus déstabilisant, car le personnage principal est tout aussi détestable qu’attachant. Détestable car il est capable du pire pour arriver à ses fins, mais attachant car on partage malgré tout sa souffrance et on s’indigne avec lui de la façon dont certains le rejettent ou le rabaissent. Le film n’épargne ainsi ni la folie des extrêmes ni l’hypocrisie d’une certaine bourgeoise de gauche faisant preuve d’une odieuse arrogance.

Jan Komasa livre un drame balzacien car son antihéros a quelque chose d’un Rastignac polonais, venant de sa campagne pour s’installer à Varsovie avec des rêves de réussite professionnelle, sociale et sentimentale. Tomasz (également appelé « Tomek » ou « Tomala ») commence ainsi des études de droit et renoue avec les Krasucki, une famille bourgeoise qui passait des vacances dans son village, espérant séduire Gabi, la fille cadette. Mais la société est cruelle et compartimentée, et elle ne tolère finalement ni les écarts, ni les différences. Dès les premières minutes du film, Tomasz est donc viré de la fac pour plagiat et il comprend par ailleurs que les Krasucki le méprisent derrière leur apparente générosité.

Si quelques détails manquent un peu de clarté au début (surtout concernant le passé de Tomasz et ses relations avec les Krasucki), la machine infernale se met rapidement en route, avec une mise en scène ensorcelante qui parvient notamment à s’affranchir d’une chronologie trop linéaire grâce à une utilisation magistrale du montage parallèle. "Le Goût de la haine" propose un regard vertigineux sur la société contemporaine et sur le pouvoir de nuisance des réseaux sociaux, avec une portée universelle qui dépasse les seuls enjeux polonais.

Politique et sociologique, ce long métrage s’avère essentiel – mais plutôt alarmiste, avouons-le – pour comprendre à quel point Internet bouleverse la donne politico-sociologique au XXIe siècle, n’épargnant aucun bord, en condamnant avant tout les dérives extrémistes mais en pointant aussi du doigt la responsabilité de certaines élites. Résonnant dramatiquement avec l’actualité (la montée des extrémismes et populismes en Pologne comme ailleurs, la présidence de Donald Trump…), "Le Goût de la haine" est également porté par un jeune interprète au talent ahurissant, Maciej Musialowski, capable d’alterner les expressions au point d’insinuer un doute permanent et grandissant quant aux sentiments et intentions de son personnage qui avance perpétuellement masqué et qui semble à la limite de la schizophrénie, jusqu’à une conclusion qui nous laisse sous le choc.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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