LE GARÇON
Des instantanés d’éternité…
À partir d’une enveloppe trouvée dans une brocante et contenant une série de photographies de famille, les réalisateurs Zabou Breitman et Florent Vassault vont tenter d’identifier et de retracer l’histoire d’un jeune homme présent sur plusieurs de ces images. Tandis que l’un enquêtera sur le garçon afin de retracer sa vie et son parcours, l’autre réalisera une fiction à partir de ce que lui évoque ces photos. Avec, en bout de course, un film qui combinera leurs travaux respectifs…

Quelqu’un trouve par hasard la photo de quelqu’un d’inconnu, et tout à coup, pour une raison parfaitement inconsciente, cette photo active un désir d’identification de la personne en question et de curiosité pour tout ce qui a pu constituer les différentes étapes de son existence. Cette idée-là, mêlant la fascination pour le plus banal des sujets (un inconnu, la belle affaire !) à cette forme de voyeurisme universel qui pousse tout un chacun à s’intéresser à la vie privée d’autrui, pourrait être en soi un raccourci – certes un peu schématique – du travail de documentariste. Mais point d’interrogation éthique à l’horizon de cette critique, car le résultat proposé par Zabou Breitman – jusqu’ici réalisatrice aux partis pris plus anodins et anonymes qu’autre chose – et son coréalisateur Florent Vassault coche pour le coup toutes les cases du film-ovni qui prend à revers les attentes du spectateur.
Le partage des tâches est clairement énoncé d’emblée : à Florian le documentaire, à Zabou la fiction, et à l’arrivée, une combinaison des deux en guise de film collectif. Exercice risqué de mash-up créatif dont on perçoit très vite la ligne mince qui sépare la fiction du documentaire, à savoir que l’un se voudrait l’interprétation subjective de la matière travaillée par l’autre. Et pendant une bonne moitié de film, force est de constater que l’exercice tourne à plein régime, avec une partie « enquête » qui emporte très clairement l’adhésion la plus totale. Comme cela est très intelligemment souligné par l’un des interlocuteurs à qui sont soumises les fameuses photographies, identifier un individu et percer sa personnalité sur la base de photographies prises à un instant T relève avant tout d’un pur travail de mise en scène, qui plus est ô combien subjectif. En effet, il n’y a en l’état aucun risque d’espérer approcher la « réalité » de l’individu sur la base de simples photographies – qu’aurait-il pu se passer si la photo avait été prise cinq secondes plus tôt ou plus tard avec une toute autre expression du visage ?
Et de là surgissent du même coup d’autres interrogations. S’attacher aussi fortement à percer l’identité d’autrui à des fins créatives n’est-il pas une violation de la vie privée ? Quelle serait la finalité d’un tel travail de recherche si la personne en question demeurait introuvable (peut-être par choix ou pour cause de décès) et donc privée du droit d’avoir sa propre voix au chapitre ? Ces questionnements-là, les deux réalisateurs ne se sont pas contentés de les anticiper, mais ont surtout fait le choix fort de les intégrer dans la diégèse même de leur projet. D’où la nature profondément métatextuelle du "Garçon", objet-film réfléchi qui se jauge lui-même et qui met en perspective (et en question) sa propre démarche par un geste de cinéma faisant s’écrouler le quatrième mur. On en prend le pouls non seulement de par les interrogations en off des deux réalisateurs tout au long de leur processus de création, mais aussi lors de ce court instant où, en plein travail sur la table de montage, ces derniers rembobinent soudain l’action pour questionner un détail ambigu sur un plan positionné en amont.
Reste qu’en s’efforçant de combiner l’enquête objective à la fiction subjective, "Le Garçon" ne réussit pas totalement à équilibrer (ou à harmoniser) les deux démarches. À vrai dire, la partie « fiction » du film ne met pas longtemps à révéler ses limites. D’abord en intégrant des réflexions théoriques sur mille et une choses (l’image, l’Histoire, la mémoire, l’identité…) sous la forme de dialogues assez lourds, ensuite en reprenant certains témoignages réels mais anecdotiques (dont certains centrés sur Florent Pagny ou les dictateurs du XXe siècle) pour les encapsuler dans des scènes fictionnelles où elles ne trouvent pas forcément écho et/ou racine, enfin en rejouant la prise des fameuses photos sous des angles pas toujours exacts et dans des décors pas toujours identiques. Cela suffit à générer sinon une mise à distance, en tout cas un franc déséquilibre entre deux partis pris qui, au départ, étaient voués à fusionner parfaitement. Alors, certes, le projet reste en soi hautement méritant et passionnant, mais il lui manque cet élément-clé qui aurait permis à la captation, l’interprétation et la mise en abyme de trouver le juste point de convergence.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur