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LES LARMES DE MADAME WANG

Un film de Liu Bingjian

Humour et ultra-réalisme

Ancienne chanteuse d’opéra au chômage, Wang doit arpenter les rues de Pékin pour vendre des CD et DVD au noir. Elle « emprunte » de temps à autres la petite fille de sa voisine en guise de couverture, en échange d’un peu d’argent. Son mari, chômeur lui aussi, dilapide les maigres gains de la jeune femme lors de ses interminables parties de Mahjong. Un jour, une partie tourne mal et le mari crève l’œil d’un des joueurs. Il est aussitôt jeté en prison, laissant Wang seule avec les dettes de jeu de son mari et la garde de la petite fille, dont les parents se sont entre-temps enfuis pour échapper à la misère. Elle doit alors quitter Pékin et retourne dans la province de Guizhou où elle a grandi. Elle demande de l’aide à son ancien petit ami, Youming, qui lui propose de devenir pleureuse professionnelle lors des cérémonies funéraires...

Les pleureuses sont ces femmes qui chantent avec désespoir au chevet des morts. Engagées par la famille, elles ne connaissent pas le défunt et doivent feindre la tristesse et le regret. Il s‘agit donc avant tout d’un métier de simulation dont la rémunération varie selon l’intensité et la crédibilité de l’interprétation, une fonction à l’éthique douteuse et qui est pourtant communément admise depuis des décennies en Chine. Plus on pleure ses morts, plus on gagne en honneur et en dignité. C’est sur la base de ce business mortuaire que se forge la quête de liberté de Mme Wang.

Tenace, peu scrupuleuse, elle adopte une attitude presque inhumaine pour parvenir à ses fins. Tous les moyens sont bons : aboyer, insulter, mais aussi se déhancher de façon éhontée dans les rues de Pékin ravagées par la pauvreté. Autant de comportements observés d’un œil amusé dans un film qui ne manque pas d’humour et de finesse. Pourtant, on comprend vite qu’il s’agit en fait d’un petit brin de femme à qui la société ne fait aucun cadeau. Son obsession pour l’argent répond à sa quête de remboursement des dettes de son mari.

La petite fille abandonnée devient vite un fardeau, et pourtant elle en prend soin comme s’il s’agissait de sa propre fille. A travers le chemin de Wang, le film aborde des thèmes tels que la fracture sociale résultant d’un capitalisme galopant. Les femmes en sont les premières victimes et n’ont d’autre choix que de s’adapter à l’hostilité de leur condition. Mais à quel prix ?

Le comique de situation produit par les scènes de défilé mortuaire repose sur le détachement et la cupidité de la pleureuse, qui va jusqu’à demander son dû avant la fin d’une cérémonie. Or une fois sa quête devenue obsolète, la comédie laisse place à l’émotion naturelle, celle que provoquent les incidents de la vie, dévoilant ainsi toute sa fragilité dans un final bouleversant.

A l’inverse des esthètes Zhang Yimou et Chen Kaige, Liu Bingjian revendique son appartenance à la nouvelle vague des cinéastes chinois ultra-réalistes. Son style et son regard ne sont pas sans rappeler ceux de Li Yan, réalisateur du récent et révoltant "Blind Mountain". Par souci de réalisme et d’authenticité, il a choisi de faire incarner les rôles de Wang et Youming par des acteurs non-professionnels, tous deux excellents. Ce parti-pris artistique et ce souci de réalisme social n’est pas du goût du gouvernement chinois, qui n’a pas fourni les autorisations nécessaires au tournage des "Larmes de Madame Wang".

Sylvia GrandgirardEnvoyer un message au rédacteur

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