LA VIE DEVANT MOI
Plus long que le journal d’Anne Frank
1942, dans la France occupée. Alors que l’envahisseur allemand n’impose de plus en plus ses lois en collaboration avec le gouvernement de Vichy, une étape majeure sera franchie en Juillet de cette année, avec les rafles. Tauba, une adolescente d’une famille juive comprend que le monde qu’elle a connu part en lambeau. Elle et sa famille sont alors cachés par un couple d’amis dans une chambre de bonne. Mais combien de temps vont-ils rester isolés de tout, vivant dans le silence et la peur d’être découverts ?

On ne va pas nier que s’attaquer à un sujet comme la Seconde Guerre mondiale et la déportation des Juifs soit chose peu aisée à faire, surtout au cinéma. Il est question de représentation, d’avoir conscience du pouvoir évocateur des images et de leur symbolique, et évidemment du voyeurisme inhérent à cet art. Nombre de cinéastes s’y sont cassés les dents avec pourtant les meilleures intentions du monde. C’est le cas par exemple du faiseur de mauvais films Uwe Boll qui avait « réalisé » en 2011 un film sobrement intitulé "Auschwitz" et qui faisait tout ce qu’il ne fallait pas faire : grossièreté historique, effet de style tape à l’œil hors de propos et surtout un fonçage tête baissé dans un voyeurisme pur qui pouvait provoquer nombres de déglutis incontrôlés chez le commun des mortels normalement constitué du point de vue morale.
C’est le cas aussi de réalisateurs ou réalisatrices tels que Roselyne Bosch avec "La Rafle" (là encore, un titre tout en finesse) en 2010 avec un casting all-stars (Gad Elmaleh, Jean Reno, Cécile de France…) pour un résultat dégoulinant de fausseté émotionnelle et d’incrustation numérique douteuses. Mais pour Nils Tavernier ("L'Incroyable histoire du Facteur Cheval", "De toutes nos forces"), réalisateur chevronné aux récits sociétaux et intimes, il n’était pas question de tomber dans ces travers. L’une des forces du film est bel et bien son cadre dans l’intime de cette famille qui voit sa vie bousculée par petites touches, avant de basculer dans l’horreur pure. Le réalisateur a l’intelligence d’inscrire le début de son récit dans un Paris partiellement dévoilé. Pas de plans de coupes essayant de recréer les visions d’horreur de la capitale occupée, pas d’intrigues annexes qui détournerait l’attention du cœur du film.
Visiblement ce qui intéresse ici le cinéaste c’est bien entendu de nous rappeler les pires heures de nos sociétés contemporaines, mais surtout de jouer sur la sensation de hors champs, de menace invisible, tout aussi terrifiante. Voilà pourquoi le début du film est sacrément efficace : pas de pathos quand Tauba doit arborer l’étoile jaune, pas d’artificialité lors de la fuite, Nils Tavernier fait le choix de coller au corps de cette famille pour s’intéresser à ce sentiment étrange et dangereux : se cacher. Le film est à son meilleur quand il nous expose ses volontés de travailler sur le hors champs de cet appartement lugubre et minuscule, renforcé par un travail sonore intéressant (on entend des bruits de pas dans la cour, des coups de feu au loin, des cris à peine perceptibles...) et ce n’est pas sans nous rappeler le chef d’œuvre total qu’a été "La Zone d'intérêt" de Jonathan Glazer. Ce dernier, en plaçant son action chez la bourgeoise nazie qui habite à côté d’un camp, décidait de ne rien nous montrer et plaçait donc le pouvoir de suggestion du spectateur à des paroxysmes renforcés par ce travail sur les sons extraordinaires et sur la proximité géographique grinçante.
Nous ne sommes pas là pour critiquer ce film là, mais pour exprimer une sorte de regret face à des intentions donc louables de la part de Nils Tavernier, qui semblent ne pas être allées au bout. Le bruitage et l’ambiance sonore n’est pas si intéressante au fur et à mesure que le film avance, les péripéties sont construites pour rythmer une histoire qui n’en demandait pas tant (et se résolvent à la scène suivante, ce qui renforce leur artificialité). Et finalement on se retrouve avec un long métrage certes pourvu de jolies séquences comme un dialogue entre Tauba et son père (joué tout en sobriété par Guillaume Gallienne) sur le courage, la lâcheté et l’amour, ou celle lorsque Tauba dessine un faux piano sur le plancher pour mimer une chanson.
Et pour nous, la jeune Violette Guillon (Coma, 2022) est la révélation du film : avec son jeu innocent et juste, elle amène son personnage vers des zones d’ombres intéressantes tout en gardant une candeur qui sauvera sa famille. Evidemment, la structure du film, ponctuée de plusieurs ellipses indiquant le nombre de jours passés, n’aide pas à effacer ce sentiment de longueur, de surplace. Et justement, le scénario - conscient de sa position stagnante - n’aide pas non plus, en ajoutant inutilement des séquences dites d’actions (dans le sens strict du terme). Peut-être qu’un projet pareil, avec un parti aussi fort qui assume ses silences, qui les rends insoutenables, une musique moins envahissante voire inexistante et qui va au bout de ses idées (Tauba ne vit pas son adolescence, thème seulement effleuré lors d’une séquence) aurait permis à cette troupe de talents (n’oublions pas la géniale Adeline D’Hermy dans le rôle de la mère) de réussir pleinement et de façon plus homogène un film qui reste cependant percutant grâce à son sujet. Il est temps de faire mieux qu’une œuvre, certes pétrie de sincérité, mais un peu trop convenue pour marquer totalement. Avec un sujet aussi fort il est dommage de rester dans les clous.
Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur