LA PIE VOLEUSE
Les petites facilités de Robert Guédiguian
Entre les aléas de la vie quotidienne et les dettes de son mari joueur, Maria gagne sa vie en tant qu’auxiliaire de vie pour des personnes plus âgées qu’elle. Mais son altruisme et sa dévotion envers ces braves gens ne l’empêchent pas de leur voler par-ci par-là quelques euros, histoire de sortir sa famille d’une condition pour le moins précaire. Le jour où une histoire de chèques met à jour son petit système, une plainte pour abus de faiblesse pointe à l’horizon…

Au fond, si l’on aime tant le cinéma social de Robert Guédiguian, c’est peut-être parce qu’il persiste à avancer à rebours de celui de Ken Loach ou des frères Dardenne. Parce qu’il contribue à redonner un sens digne de ce nom au terme « humanisme » tel que Jean Renoir l’avait défini. Parce que peindre des personnages se fait chez lui au travers d’un éventail de nuances bienveillantes qui suffisent à torpiller toute trace de manichéisme ou de caricature. Parce que sa troupe d’acteurs fidèles sont un peu comme des amis que l’on prend toujours plaisir à retrouver sur l’écran. Parce que sa fibre socialiste touche au cœur pour mieux inciter à la réflexion. Parce que sa mise en scène, épurée et colorée, a le chic pour chatouiller nos cinq sens tout en fuyant toute propension au naturalisme grisâtre. Parce que l’ambiance solaire de l’Estaque et l’imparable accent marseillais ont quelque chose d’infiniment plus chaleureux et chantant que les plaintes de bobos-prolos dans des appartements vides qui sentent le refermé. Jusqu’ici, même lorsque l’on sentait pointer de forts zestes de naïveté dans ses intrigues, les belles utopies qui y prenaient racine nous poussaient malgré tout à y croire et à s’y sentir bien. Et il aura fallu attendre l’arrivée de cette "Pie voleuse" pour que de sérieux problèmes viennent abîmer ce bel élan.
Guédiguian se positionne ici dans un registre plus proche d’"Au fil d’Ariane" que de "La Villa" (son chef-d’œuvre). Soit un récit centré sur un personnage joué par Ariane Ascaride, et autour de laquelle gravitent un petit nombre de destins familiaux et sociaux, tel un échantillon d’individus qui renouent avec les concepts de bonté, d’entraide et d’altruisme. Tous les ingrédients que l’on évoquait plus haut répondent à l’appel, à ceci près que le récit grille ses cartes à mi-parcours, dès lors que la révélation des manigances de son héroïne – ici moins une altruiste maladroite qu’une kleptomane butée qui profite de la faiblesse des autres – bouleverse les liens de cette smala marseillaise. À partir de là, les enjeux perdent toute signification, les trajets humains sentent le bâclé quand ils ne sont pas carrément abandonnés sans raison, et les personnages obéissent à un schéma interne tout sauf net qui tend à les faire passer pour des aveugles (au mieux) ou des idiots (au pire). Le meilleur exemple reste ce duo de scènes positionnées en pivot du récit, et focalisées sur les personnages joués par Marilou Aussilloux (la fille de la voleuse) et Grégoire Leprince-Ringuet (le fils de l’arnaqué) : voir ces deux jeunes personnages inconnus l’un de l’autre passer aussi brutalement de l’opposition tendue à la passion érotico-adultère incontrôlable – et ce au détriment de leurs vies de famille respectives – est juste incompréhensible.
Facilité scénaristique ? Écriture lâche ? Manque de discernement dans l’évolution des caractères ? C’est un mystère que l’on ne parvient pas à expliquer. Tout comme le fait de chercher à plaindre une héroïne chez qui légitimité ne rime pas du tout avec légalité est ici assez problématique, tant ce genre d’enjeu kamikaze paraît conçu pour amorcer – voire pour réclamer – une issue tragique. Aurait-il donc fallu que Guédiguian embrasse de plein fouet les codes du pur mélodrame pour crédibiliser son petit monde ? En tout cas, la façon dont il résout ici les problèmes et sauve ses personnages de la déchéance est une pilule impossible à avaler : en gros, il suffit de retirer sa plainte tout en invoquant Victor Hugo comme argument d’autorité, et hop, tout est réparé, balancez le happy end avec un grand sourire ! On a beau admettre que la naïveté peut être vectrice d’espoirs et d’utopies humanistes, un registre aussi sensible que le drame social nécessite malgré tout du tact et de la nuance. Pour le coup, le temps d’un film, Guédiguian semble avoir péché par excès de facilité. Tant pis, il fera mieux la prochaine fois.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur