LA JEUNE FEMME A L'AIGUILLE

Un film de Magnus Von Horn

Une terrible histoire enveloppée dans un sublime noir et blanc

Fin de la Guerre de 14, au Danemark. Karoline travaille dans un atelier de couture de Copenhague. Son mari est porté disparu au combat et elle a déjà 14 semaines d’impayés de loyer. Après s’être faite expulser de son appartement, elle trouve un logement de fortune dans une mansarde. Demandant une augmentation pour veuvage, statut qui ne lui est pas reconnu, elle est prise sous son aile par son patron, avec lequel elle entame une liaison. Mais sa future belle-mère ne l’entend pas de la sorte, et demande à vérifier qu’elle est bien enceinte. Peu après la naissance soudaine du bébé, Karoline, livrée à elle-même, accepte de confier celui-ci à Dagmar, qui dirige une agence d’adoption clandestine, et pour laquelle elle va devenir nourrice…

Située au Danemark au début du XXe siècle, l’action de "La Jeune femme à l’aiguille", passé par la compétition du Festival de Cannes 2024 et récent candidat du pays à l’Oscar du meilleur film international (c’est une coproduction Pologne / Suède / Danemark) nous entraînera rapidement dans les bas fonds de Copenhague, pour mieux incarner la misère ambiante et la noirceur des actes de Dagmar, tenancière d’une agence illégale d’adoption, aussi ambiguë que charismatique. Approchant l’héroïne du film, Karoline (impressionnante Victoria Carmen Sonne), celle-ci profitera en effet autant d’elle qu’elle lui rendra service : en acceptant de placer son bébé et en lui offrant une place de nourrice pour d’autres enfants (elle doit leur donner le sein…). Interprété par l’excellente Trine Dyrholm ("La Communauté"), ce personnage glace le sang, en incarnant le reflet d’une époque désespérée et jouant les entremetteuses entre femmes ne pouvant avorter et condamnées au statut de paria en élevant des enfants issus de drames ou en abandonnant ceux-ci.

Débutant sur un magnifique plan séquence, avec Karoline et sa logeuse faisant visiter l’appartement à une femme et l'enfant qui devraient prendre sa place, le film installe dès le début une situation d’urgence pour le personnage. Urgence que l’on retrouvera dans la scène éprouvante aux bains, où celle-ci tentera un avortement à l’aiguille, d’où le titre du métrage. Pour incarner la noirceur de l’époque et du contexte, Magnus Von Horn ("Le Lendemain", "Sweat") a choisi de déployer un superbe noir et blanc allié à des cadrages inspirés, qui évoquent à la fois le caractère grouillant des fabriques (on y pénètre comme dans un antre, monstrueux…), la saleté d’une ville aux multiples cheminées aux fumées noires comme le charbon, et le contraste entre logements insalubres et grandes demeures bourgeoises. Il utilise avec habileté le cadre dans le cadre (lorsque Karoline glisse de sa mansarde sur les toits, pour respirer un peu…), compose une scène d’orage éprouvante accompagnée d’une musique angoissante, joue avec la netteté des bords et du fond d’une ruelle, et achève le drame avec un beau plan zénithal.

Suivant le rude destin de Karoline, il se dégage progressivement du récit la volonté d’une femme qui ne se résigne pas à une condition dictée d’avance. Mais l’auteur développe surtout une atmosphère étrange et anxiogène autour du personnage de l’entremetteuse, qui incarne peu à peu l’état de la relation entre les deux femmes, au travers des cauchemars de son héroïne, faits de visages déformés par la guerre, la blessure, ou même la malédiction d’une naissance (le bec de lièvre du nouveau né…). Des déformations qui incarnent aussi la part d’ombre de chacun dans un contexte de lendemains de la Première Guerre mondiale, où même accepte un mari difforme n’est pas chose facile. Mélangeant questions morales autour de l’avortement ou l’adoption, et de conditions de vie miséreuses qui mènent aux pires actes, "La Jeune femme à l’aiguille" questionne au final avec cruauté la réalité du désir d’enfant dans un contexte de pauvreté extrême. Il en devient un film saisissant sur la condition de la femme au début du XXe Siècle, sublime et rude cauchemar qui mérite tous les éloges.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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vendredi 18 avril - 10h45

film limite grotesque qui enfile tous les poncifs

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