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LA FIÈVRE

Un film de Maya Da-Rin

Voyage aux limites de la forêt

Justino est indien, c’est un natif du Brésil qui travaille au milieu des blancs sur un port de marchandises. Il surveille toute la journée les containers. Son travail n’est pas fatiguant, donc il s’en accommode. Il vit avec sa fille qui part bientôt pour la capitale, car elle a été prise en faculté de médecine, et son fils, avec son épouse et leur tout jeune garçon, vivent à proximité. Dans les fourrés, une créature rode, il l’entend bouger lorsqu’il rentre le soir. Il a 50 ans et la fatigue le guette, il pique du nez pendant ses heures de travail. Mais outre cette fatigue et cette étrange créature, c’est la fièvre qui le guette et qui commence à le ronger, une fièvre intermittente, comme le paludisme, mais qui ne semble pas avoir de causes naturelles…

La Fièvre film movie

Difficile de ne pas penser au cinéma d’Apichatpong Weerasethakul en voyant ce film de Maya Da-Rin. "Oncle Boonmee" est en embuscade, sur cette frontière entre la nature foisonnante et sauvage et l’urbanité. Ce béton, cette blancheur, cet état d’esprit, qui vient cacher et écraser un territoire, un monde, une culture et des corps plus anciens.

Cette inspiration thaïlandaise pour le traitement de la nature est contrebalancée par une volonté de filmer le corps de cet homme, dans son silence, son immobilité, son statisme, mais aussi ses mouvements répétitifs, las, anciens, venus d’un autre temps. La grammaire qui se met en place dès le plan d’ouverture fait alors penser à Malick et à sa volonté de saisir d’un même geste les hommes et leur environnement, dans une forme d’interdépendance, de symbiose, qui rongent les êtres autant que les arbres, et qui peut conduire à un retour à l’état de nature.

Dans ce film, il y a deux environnements, celui du port, urbain, froid, bétonné et celui de la maison, de l’intérieur, qui reste urbanisé, mais ouvert sur la nature, et entre, il y a des passages, des marges, des franges, des routes sans trottoirs qui longent des forêts profondes, des lignes d’urbanité qui fendent la végétation, qui n’est jamais domestiquée, seulement tenue à distance par une arme ou une lampe.

Ce film témoigne d’un refus clair de l’intrigue pour se concentrer sur des personnages qui sont à l’aube d’un changement, mais qui n’est ni dramatique, ni spectaculaire. Les actes, comme les hommes, prennent leur temps, en silence, sans heurt. Ils avancent à leur rythme, inéluctable, et rien ne changera jamais vraiment. Le montage participe à ce geste, car les mêmes scènes de repas en solitaire, debout, dans l’encadrement de la porte, viennent ouvrir et fermer le film.

Étrange et intriguant, le fond de ce film reste insaisissable et inépuisable. Il est possible de questionner et de gloser indéfiniment sur le sens de ces longs plans sur le corps noueux et alourdi de Justino, sur ses yeux qui n’ont plus de blancs, sur la morale des contes que l’on murmure à table ou au coin du feu, ou même sur ce qui se cache derrière la métaphore de la fièvre ou de la bête, mais ce ne serait que gloser car le film est ouvert, et ne réduit jamais le champ.

"La fièvre" peut tout autant être un film sans sujet, sans parti pris idéologique, l’expérience d’une fatigue, d’un épuisement, du silence, ou un film profondément politique, Maya Da-Rin ne choisit pas, alors nous non plus.

Thomas ChapelleEnvoyer un message au rédacteur

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