LA CHAMBRE DE MARIANA
D’une peur à l’autre
1943, alors que les nazis ont envahi l’Ukraine, une jeune mère juive dépose son fils de 12 ans, Hugo, auprès de son amie d’enfance Mariana, devenue prostituée, qui va le cacher dans le placard situé derrière sa tête de lit. S’occupant de lui comme elle peut et le laissant ponctuellement sortir dans sa chambre, Mariana va avoir de plus en plus de mal à garder ce secret au sein de la maison close où elle travaille et réside. Quant à Hugo, c’est un monde réduit à quelques sensations, bruits, bribes de vues, qui l’attend, avec la menace permanente d’être découvert…

Après le récent "La Cache", qui prenait le chemin de la comédie, pour évoquer, à partir de la période de mai 68, un espace servant à se cacher sous un escalier dans l’appartement d’une grande famille juive, Emmanuel Finkiel choisit la voie du drame pour évoquer le sauvetage d’un enfant juif par une prostituée ukrainienne (le film est adapté du roman d’Aharon Appelfeld). Planqué lui aussi dans une cache, placard dans le mur, situé au niveau de la tête de lit de la chambre de Mariana, prostituée, le film tente de prendre le point de vue du jeune garçon, en incarnant ses dialogues dans sa tête (comme s’il écrivait par exemple à sa mère…), faisant jaillir de rapides flash-back provoqués par quelques éléments (une chaussure, une jambe aperçue…), et montrant jusqu’aux visions de ses proches, mutiques disparus ou parents rappelant quelques leçons.
C’est donc du côté du désenchantement que se place donc la grande majorité du film, filmant les quelques rayons de lumière, parfois rouges, les bruits évoquant les ébats qui ont lieu à proximité (ils ne prennent forme partiellement que lorsque la violence s’invite, de la part d’un client, ou par jalousie et haine d’un jeune homme grandissant), ou la vie militarisée à l’extérieur. Même les flash-back sont filmés à hauteur d’enfant, qu’il s’agisse de jeux avec une petite fille sous une table, ou de l’irruption des Allemands dans la pharmacie du père. L’invitation à maintenir l’imagination active est persistante, malgré la tristesse d’un quotidien fait finalement de bribes de vie des autres, la sienne semblant juste entre parenthèses. Changeant soudainement de lumière, ce film en permanence sur le fil du rasoir par son jeu sur les sensations, évoque au final le remplacement d’un danger par un autre, avec l’arrivée des soldats soviétiques, supposé soulagement, étant en réalité synonyme du début d’un autre cauchemar, et l’ouverture à un monde extérieur où les « bons chrétiens » ne sont pas plus bienveillants, signifiant d'autres persécutions. Le film entre ainsi de manière troublante en résonance en collision avec le monde d'aujourd'hui, entre guerre en Ukraine et relents nationalistes dans de nombreux pays d'Europe.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur