L'ÎLE DES FAISANS
La nécessité du sentiment de révolte
Laida, espagnole, vit en couple côté français à Hendaye, avec Sambou. Lorsque deux migrants manquent de se noyer dans la rivière Bidassoa, Laida n’hésite pas et plonge, réussissant à secourir l’un d’eux, qui s’enfuit aussitôt arrivé sur la berge, laissant dans l’eau son ami Omar. Sambou, lui, est resté figé sur la berge, aidant à peine sa compagne à sortir le jeune homme de l’eau. Une certaine tension s’installe alors dans le couple, qui travaille ensemble dans un atelier côté espagnol, alors que quelques temps plus tard, un corps s’échoue sur l’île aux faisans, au milieu de la rivière…
Thriller au rythme volontairement lent, autant que le poison qui gangrène le couple de protagonistes, "L'Île des Faisans" a le mérite premier d'attirer l'attention sur deux choses. Tout d'abord l'existence de ce bout de terre, situé sur la rivière Bidassoa, servant de frontière entre la France et l'Espagne. Ensuite le sort parfois fatal des migrants traversant la rivière, en cherchant à passer en France, ceux-ci n'échappant pas pour autant à divers dangers une fois en Métropole. Pour introduire le lieu, Asier Urbieta utilise un plan aérien donnant à voir la rivière entre champs inondés et arrivée en ville, Irun d'un côté, Hendaye de l'autre, accompagné d'un commentaire écrit sur la nature abstraite et politique des frontières. Il nous donne ensuite à voir la passation qui s'y déroule entre les autorités françaises et espagnoles, chacune en ayant la charge durant 6 mois de l'année de manière alternative. Une cérémonie au cours de laquelle un corps est retrouvé le long de la berge, et une scène qui aura plus tard un rôle particulier dans l'histoire, notamment dans ses conséquences administratives ubuesques et faisant fi de toute approche humaine.
Grâce à deux interprètes principaux impliqués, à un casting de seconds rôles convaincants, et à un choix narratif qui fait alterner la trajectoire obsessionnelle, entre sentiment de culpabilité et désir de changer les choses, de Laida, incapable de comprendre la passivité de Sambou, dont la famille a des origines au Cameroun, et le parcours de l'ami d'Omar, le rescapé de la noyade, tentant de rejoindre Paris, le film parvient à provoquer le trouble, forçant le spectateur, comme d'autres personnages, à sa positionner. N'hésitant pas à décrire l’omniprésence policière à la frontière, le monde sans pitié des squatteurs, entre précarité et phénomènes de racket, comme les difficultés des structures d’accueil ou l’indifférence globale, Asier Urbieta livre un thriller psychologique décent, bercé par une musique intrigante aussi discrète que bienvenue. Si l'on laisse de côté quelques maladresses autour de la non explication de l'inaction de Sambou (la piste de la peur de l'eau semble un instant suggérée, avant un quasi abandon du sujet, certes casse-gueule...), "L'Île des faisans" réussit sans mal à délivrer son message d'injustice et d'engagement possible.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur