L'HISTOIRE DU SOLDAT
Un bijou méconnu d’animation des années 80
Après trois ans de guerre, un soldat musicien rentre dans son village avec l’intention de se marier. Mais il croise le Diable qui lui propose d’échanger son violon contre un livre qui lui permet de connaître l’avenir et d’en profiter pour s’enrichir…

"L’Histoire du soldat", c’est d’abord une œuvre mélodramatique musicale créée par le compositeur russe Igor Stravinsky et l’écrivain suisse Charles Ferdinand Ramuz, dans un contexte de fin de Première Guerre mondiale et de début des « années folles ». Cette adaptation animée est d’ailleurs précédée d’un prologue documentaire qui présente en quelques minutes Stravinsky, l’œuvre initiale et le contexte de création, ce qui n’est pas superflu pour mieux appréhender le film. Par ailleurs, notons que ce film est initialement un téléfilm, diffusé pour la première fois aux États-Unis sur PBS en 1984 (précisons que la partie documentaire, réalisée par Christian Blackwood, est d’origine, et non un ajout récent), et qu’il était jusque-là inédit en salles en France.
Focalisons-nous sur le film d’animation, qui est l’œuvre de R.O. Blechman, animateur et illustrateur ayant notamment travaillé dans la publicité et pour le magazine "The New Yorker". Sa grande qualité réside dans son inventivité protéiforme aux influences diverses, par exemple avec des séquences s’inspirant d’artistes abstraits contemporains de Stravinsky (Vassily Kandinsky en tête) ou d’autres lorgnant du côté des origines du cinéma : on reconnaît par exemple assez nettement l’hommage au papier découpé de Lotte Reiniger ou aux pellicules grattées de Len Lye, alors qu’une séquence prend l’allure d’un film muet des premiers temps du cinéma (cartons-titres compris), tandis que le patronyme du héros (anonyme dans le texte d’origine de Ramuz) est un clin d’œil évident à Dziga Vertov et son « ciné-œil ». L’ensemble est d’autant plus impressionnant que la diversité des styles et des techniques ne provoque aucun sentiment d’hétérogénéité, car tout s’enchaîne dans une étonnante fluidité.
Cerise sur le gâteau, "L’Histoire du soldat" bénéficie d’un casting de voix aussi enthousiasmant en VO qu’en VF ! Pour les dialogues en anglais, c’est notamment Max von Sydow qui campe le Diable, alors que la voix du soldat est assurée par le réalisateur yougoslave Dušan Makavejev. Pour la version française, on a droit à rien de moins que Serge Gainsbourg en Diable, Henri Salvador en soldat, François Périer à la narration et même Roger Carel pour deux personnages secondaires et Lucien Jeunesse en animateur de radio ! De quoi se régaler côté public adulte. En revanche, cela pourra être plus ardu pour le public jeune, pourtant ciblé par cette sortie mais qui peut passer à côté des thématiques (notamment les réflexions sous-jacentes sur la modernité et le capitalisme) et être déstabilisé par un récit parfois exigeant, entre ruptures et une certaine non-linéarité.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur