L'EFFET BAHAMAS

 

POUR : La mise en évidence d’une politique orientée et de la désinformation visant à réformer l’assurance chômage

Derrière le terme « effet Bahamas » se cache a priori l’agonie programmée de l’Assurance chômage, pour cause de gens qui partiraient sous les tropiques avec l’argent de la caisse. Réalité ou fiction ? La réalisatrice mène l’enquête en suivant différentes pistes et en récoltant différents témoignages…

Le nouveau documentaire d’Hélène Crouzillat ("Les Messagers") apparaît sans doute comme désordonné. Mais c'est certainement à l'image de la nébuleuse d'organismes et personnes, aux intérêts divergents, qui gravitent dans et autour du système de l'assurance chômage (allocataire, Unédic, syndicats, MEDEF, assurances, banques...). Le choix par la réalisatrice est la constitution d'un tableau d'enquêteur, à la façon d'une agent du FBI en train de relier sur le mur d'un appartement vide les victimes, leurs entourages, suspects et motivations, apparaît comme symbolique, synonyme du crime idéologique (et financier) en cours, consistant à réduire les allocations pour mieux enrichir des fonds de pension ou autres spéculateurs sur la dette. S’il paraît au départ pertinent, il n'en devient pas moins un des points faibles du film, peinant à expliquer certains dispositifs par ce biais et ne donnant jamais de vue d'ensemble. Le spectateur pourra cependant se raccrocher de façon plus claire, aux morceaux choisis de contact entre chômeurs et un interphone de Pôle Emploi pour seul interlocuteur, ou aux témoignages d'une ancienne ou d'actuels employés, s'alarmant des méthodes utilisées, des situations ubuesques subies, ou de la situation de juge, partie et arbitre de l’institution.

Si l'on regrettera que les intervenants ne soient pas mieux identifiés dans leurs fonctions, le décollage progressif du factuel vers le politique, montrant à la fois le mépris des partenaires sociaux (et donc du système), la construction même du prétendu "Effet Bahamas" pour justifier de réformes en rendant l'allocataire coupable a priori, et la révélation de la réalité spéculative impliquant de multiples acteurs bancaires, assurantiels ou de fonds de pension, finit par faire froid dans le dos. Et l'agenda idéologique libéral est ainsi parfaitement mis à jour, même si l'aspect bricolo de l'ensemble (les fils et les rouages du tableau, le montage parfois peu liant...) ne permet pas d'atteindre le niveau pédagogique de "La (Très) Grande Evasion", qui rendait lui lisibles, avec de simples animations, les mécanismes de l'évasion fiscale, que comme ici, les politiques s'évertuaient à nous rendre faussement complexes. Alors quand de plus l'émotion s'invite dans un ou deux témoignages, on ne peut qu'adhérer à l'alerte donnée ici, malgré les défauts de constructions du documentaire lui-même.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

CONTRE : Les faits sans l’effet

De ce documentaire signé Hélène Crouzillat, on n’aura envie de ne retenir qu’une chose. Une simple phrase, à vrai dire, qui plus est énoncée en fin de bobine par l’une des personnes interviewés : « Il n'y a que les idées qui tuent, parce qu’avant d'en arriver au fusil, on a déjà une certaine idée de ce que l'on veut faire ». Au fond, cela synthétise tout vis-à-vis du sujet, à la fois sensible et pénible, dont il est ici question. Mais c’est peut-être aussi le seul élément rhétorique qui vaille la peine d’être jugé pertinent et prégnant par rapport à ce même sujet. Et la raison en est hélas tragique : pour une enquête qui se voudrait sans doute la plus éclairante et synthétique possible à propos d’une situation chaotique et nébuleuse dont on ne mesure peut-être pas la gravité, il est paradoxal d’en sortir en ayant la sensation d’être encore plus paumé qu’à l’entrée. Bien sûr, 7ème Art oblige, il n’est point question de réclamer d’un cinéaste qu’il fasse preuve de pédagogie sur un sujet précis – on loge d’ailleurs la fiction et le documentaire à la même enseigne sur ce point-là – mais qu’il use de moyens cinématographiques dignes de ce nom pour traduire un point de vue, offrir des perspectives et, si possible, éclairer ce qui reste tapi dans le brouillard au sens large. Si l’on garde cela en tête, le bilan est sans appel sur "L’effet Bahamas" : trop de faits sur un « effet » mais sans l’effet de cinéma qui saurait en tracer la cartographie.

On ne mentionne pas le mot « cartographie » pour rien, puisque tout le parti pris de la réalisatrice-enquêtrice y fait écho. En guise de fil directeur zébré d’archives et de témoignages, Hélène Crouzillat s’en tient ici à investir un appartement situé en bord de mer pour en tapisser l’un des murs de mille fétiches visuels (photos, sigles, logos d’organismes, statistiques, coupures de presse…), tous reliés par des fils de laine et des mécanismes dignes d’un Lego Technic. En l’état, ce n’est pas le genre de bricolage arty dont seraient capables Michel Gondry ou Agnès Varda, mais juste une lourde démonstration pédagogique qui, comble de la malchance, embrouille plus qu’elle n’éclaire. La faute à quoi ? D’abord à un montage qui passe d’un détail à l’autre sans prendre le temps de les lier – bon courage pour drainer des connexions ici et là ! Ensuite à une installation d’art plastique qui évacue d’entrée la puissance de lisibilité du symbole pour s’en tenir au gribouillis arty d’un réel toujours plus illisible (on peine à déterminer ce qui doit être relié parce que l’ampleur du tableau entier n’est jamais tangible). Enfin à un vocabulaire plus ou moins abscons pour tout néophyte qui se respecte, ce qui nous laisse vite à penser que seuls les tenants d’un doctorat en sciences économiques et sociales seront aptes à piger le quart du tiers de la moitié des infos révélées.

Le constat ne diverge pas en ce qui concerne les personnes interviewées : qu’elles soient issues du prolétariat ou de l’Unédic, c’est l’absence même de structure narrative et de découpage liant telle et telle information qui tend à noyer leurs témoignages dans le flou. Le simple fait que l’on ait enfin l’impression de saisir quelque chose de toute cette affaire dès lors que la réalisatrice lâche en voix off un laconique « Alors, si je comprends bien ceci… », qui plus est en appuyant chaque syllabe et en isolant certains détails de son tableau-memento, signe bien l’échec total de la démarche. On sort de là convaincu que la forme documentaire et l'authenticité des informations récupérées ne sont pas suffisantes, et qu’elles ne constituent en rien un pis-aller. Pour une mise en perspective d’utilité publique, on repassera.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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