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L'ÉCUME DES JOURS

Un film de Michel Gondry

Ne crachons pas sur cette écume un peu trop salée !

Colin fait partie de ceux qui ont le privilège de vivre sans travailler. Il a donc la belle vie et il ne lui manque que l’amour. Au cours d’une soirée, il rencontre Chloé. La vie de Colin n’en devient que plus belle encore… Pour toujours ?

Porter un roman de Boris Vian à l’écran est pour le moins casse-gueule et il est, en revanche, très commode de clamer qu’une adaptation est impossible et que les tentatives sont donc automatiquement vouées à l’échec. "L’Écume des jours" a déjà connu deux transpositions sur grand écran : en 1968 par Charles Belmont (avec Jacques Perrin, Marie-France Pisier et Sami Frey) et en 2001 par le Japonais Gô Rijû ("Kuroe", sélectionné à Berlin). En 2013, c’est donc Michel Gondry qui nous propose sa vision personnelle de ce monument inattaquable de la littérature française, transformant créativité du langage en inventivité de l’image.

Clamons-le aussi haut et fort que ceux qui crachent trop facilement sur la tombe de ce film : Gondry était sans doute le seul à pouvoir traduire visuellement l’univers déjanté de Boris Vian. Et si on est un minimum objectif, le résultat – vu le défi de départ – est plutôt réussi et conforme à l’œuvre originale. Pour être honnête, tous les choix auraient été discutés : si Gondry avait laissé de côté trop d’éléments du roman, « on » n’aurait pas manqué d’entendre la vieille antienne « décidément, un roman est toujours meilleur que le film » car il est évident qu’on a plus de détails dans un roman ! Le problème (car c’est malgré tout un problème), c’est que Gondry a voulu laisser le moins de miettes possible sur le chemin de son adaptation. Avec d’autres réalisateurs, la maison qui rétrécit, le personnage de la souris ou l’obsession de Chick pour Jean-Sol Partre auraient pu passer à la trappe. Mais pas avec Gondry, qui s’attache à réinterpréter le roman dans ses très (trop ?) nombreux détails, sans s’interdire non plus une réactualisation ou des variations scénaristiques. Ce film peut alors passer pour un concentré des caractéristiques artistiques de Gondry. On retrouve ainsi de nombreuses idées qu’il a déjà utilisées, sous des formes plus ou moins recyclées et re-bricolées (la Gondry’s Touch, quoi !), dans ses précédentes œuvres : une architecture mouvante comme dans "Eternal Sunshine of the Spotless Mind", l’onirisme extravagant comme pour "La Science des rêves", les personnages mi-humains-mi-animaux comme dans "Human Nature", la mise en abîme comme pour le clip "Bachelorette" de Björk…

Conséquence de cette quasi-exhaustivité : ça fourmille dans tous les sens, avec une trouvaille visuelle toutes les trente secondes, et ce durant 2h05, ce qui donne un peu le tournis ! Du coup, il est difficile digérer ce foisonnement graphique, auquel s’ajoutent des dialogues pas toujours faciles à suivre (du Vian dans le texte). L’inconvénient d’un film, contrairement au roman, c’est qu’il est plus difficile de faire pause ou de revenir en arrière si besoin ! On peut d’ailleurs se demander si ce film, finalement, ne nécessite pas un deuxième visionnage (au moins) pour permettre au spectateur d’apprécier à leur juste valeur les nombreuses pépites gondryiennes.

De plus, un nouveau regard, avec plus de recul, permet peut-être de mieux s’imprégner des personnages et de vivre un peu mieux leur histoire, au travers d’un casting plutôt impressionnant (mais dont la prestation passe au second plan). Car c’est là le principal défaut du film de Gondry : son univers est sans doute trop envahissant pour les personnages (ce qui est néanmoins conforme au propos de l’histoire : on se laisse envahir par le temps au point de ne pas le voir passer et de ne pas se voir vieillir et mourir). Ainsi, malgré la touchante affectivité et les enfantillages nostalgiques qui caractérisent le style Gondry, ce film manque cruellement et paradoxalement d’émotion ! Un comble pour une histoire aussi profonde que celle de "L’Écume des jours", que Raymond Queneau avait qualifiée de « plus poignant des romans d’amours contemporains ».

Au final, on a parfois l’impression que "L’Ecume des jours" est à Michel Gondry ce que "Micmacs à tire-larigot" est à Jean-Pierre Jeunet ou ce que "Promets-moi" est à Emir Kusturica. Quand un réalisateur possède un univers aussi personnel et original, il finit parfois par en faire trop et par oublier l’essentiel. Gondry nous avait pourtant prouvé en 2012, avec "The We and the I", qu’il était également capable d’une belle sobriété sans renier son style. Mais la sobriété était-elle possible pour adapter Boris Vian ? Alors ne boudons pas le plaisir visuel que nous offre Gondry et laissons-lui une seconde chance : allons revoir ce film !

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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