L'AMOUR C'EST SURCOTÉ
Une belle maîtrise du rythme pour une comédie aux dialogues percutants
Anis, 30 ans, a toujours été maladroit avec les filles, son humour n’étant pas toujours bien pris ou compris. Trois ans jour pour jour après la mort de son meilleur ami, celui-ci décide de sortir et fait la connaissance en boîte de nuit de Madeleine, qui en tient le vestiaire. Alors qu’il partait et après quelques hésitations, il revient sur place et lui demande son numéro. Celle-ci lui donne alors les huit premiers chiffres et lui dit qu’il a donc 100 possibilités s’il veut la joindre…
C’est un personnage un peu brut de décoffrage qui est le protagoniste de "L’Amour c’est surcoté", comédie romantique des plus surprenantes, présentée au Festival de l’Alpe d’Huez. Interprète par Hakim Jemili (découvert en second rôle dans "Docteur ?", puis en premier rôle dans "Ici et là-bas", où il jouait les VRP amateurs avec Ahmed Sylla), ce personnage de jeune adulte qui ne s’est jamais remis de la mort de son meilleur ami, tâche ici de conclure avec une jeune femme, Madeleine (Laura Felpin) assez sûre d’elle, qui ne s’en laisse pas conter, mais décide de rentrer dans le jeu de ce plaisantin incompris et maladroit (à la présentation de Madeleine, il répond par exemple « moi c’est Pancake »). Se dessine alors progressivement une histoire d’amour hésitante, où chacun décide d’y aller doucement, par peur de superficialité ou par peur de tout gâcher. Mais c’est dans les interactions de ces deux personnages avec leur entourage que le récit prend tout son sens, questionnant la différence d’âge, le rapport à la sexualité, l’importance de la franchise, comme ces choses que l’on est parfois incapable de dire.
Les deux protagonistes se retrouvent ainsi ceinturés de personnages secondaires très réussis, qu’ils aient une importance de par leur discours (le père de Madeleine, interprété par un François Damiens malaisant digne de ses caméras cachées, le père d'Anis, touchant Abbes Zahmani à qui l’on doit l’une des plus tendres scènes du film sur la fin, le pote ouvertement raciste Paulo, joue par Benjamin Tranié, jamais à court de remarques déplacées...) ou une présence plus « physique » (comme la mère de Madeleine, entre AVC et chirurgie esthétique ratée, la copine de classe transformée en mère nympho de 4 enfants jouée par Alexandra Roth, vue en mère gauloise dans "La Petite Histoire de France"). Étonnamment c’est une bienveillance généralisée qui finit par englober le personnage, dont l’histoire amoureuse et d’autres souvenirs croustillants nous sont racontés en flash back à partir d’entretiens avec une psychologue (Clotilde Coureau).
Si l’on est dès le départ, avec les scènes qui évoquent l’amitié d’un groupe de quatre enfants, et la mort d’un d’entre eux une fois adulte, persuadé qu’en effet « l’humour c’est un pansement », comme le dit le personnage de Madeleine, la réussite du film repose, au delà de l’équilibre subtil entre émotion et humour, sur le rythme de cette comédie. Imposé par des dialogues parfaitement ponctués et des vannes bien senties, celui-ci doit aussi beaucoup à la maîtrise impressionnante de Mourad Winter pour gérer les scènes de groupe, qu’il s’agisse d’une soiree foot improvisée entre potes ou d’un repas de famille guindé. D’une scène aux nombreux personnages comme dans les scènes les plus intimes, le ping pong est permanent et permet d’aboutir à un final déchirant, dont la bienveillance fait beaucoup de bien. Un film qui rappelle qu’en amitié comme en amour, chacun prend des risques, mais que sans cela on ne vit juste pas.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur