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JOSHUA

Un film de George Ratliff

L’innocent

Dans leur superbe appartement de l'Upper East Side, Brad et Abby Cairn célèbrent la naissance de leur deuxième enfant, Lily. Joshua, le grand frère, ne voit pas l'arrivée de sa sœur d'un bon œil. D'une intelligence et d'une précocité rares, sa politesse et son calme apparents contrastent fortement avec son âge et masquent à peine la jalousie viscérale qu'il éprouve envers sa petite sœur…

Si la tradition de l’enfant machiavélique reste vivace depuis longtemps, c’est sans doute que l’innocence de nos chères petites têtes blondes et toutes les expressions populaires qui leur sont habituellement destinées (« la vérité sort de la bouche… ») doivent stimuler l’imagination des adultes méfiants qui, eux, voient sous cette apparente naïveté une perversité latente. Le cinéma de genre s’est régulièrement fait l’écho de cette méfiance en proposant des enfants calculateurs (« Les Innocents »), dominateurs (« Le village des damnés »), voire carrément diaboliques (« La malédiction ») ; quoi de mieux, en effet, qu’un bambin aux joues roses et à la morale corrompue pour hérisser les poils des parents spectateurs ? Ce « Joshua », premier long métrage réussi de George Ratliff, nous renvoi donc aux meilleurs exemples de la tradition de l’affreux gamin de cinéma.

Le cadre du récit, exposé avec rigueur dès les premiers plans, révèle déjà, sous le vernis du bonheur le plus « américain » qui soit (Sam Rockwell et Vera Fermiga incarnent Brad et Abby Cairn, couple de bobos new-yorkais), une fêlure qui ne fera que s’agrandir : Joshua, sept ou huit ans, observe avec circonspection sa petite sœur nouvellement arrivée, piaillant dans les bras de sa mère, et qui attire l’attention de toute la famille, y compris de l’oncle Ned avec lequel Joshua partage une partition au piano.

La mise en scène, intelligemment centrée sur Joshua jouant merveilleusement de son instrument (le gamin nous est immédiatement présenté comme surdoué), opère une rupture visuelle qui n’aura de cesse de se répéter à l’intérieur d’un cadre lumineux, émanation du quotidien apparemment le plus banal, qui souligne par l’ironie la fracture morale du jeune Joshua. Et insinue le doute dans l’esprit du spectateur : si la petite sœur se met brusquement à pleurnicher toute la nuit, si Abby creuse doucement son propre tunnel vers la folie, n’est-ce pas aussi, au moins un peu, la faute de Joshua ? Son imperturbable visage de nacre cacherait-il une culpabilité secrète ?

Le visage est le reflet de l’âme, et George Ratliff le sait, qui prend un soin tout particulier à filmer – à ausculter, pourrait-on dire – les visages de ses protagonistes afin de mieux révéler leurs fractures internes. Le choix des comédiens s’avère ici déterminant : si les traits de Rockwell se décomposent à mesure de sa décrépitude morale jusqu’au paroxysme de la paranoïa, le visage de Farmiga se fait explicitement l’écho de celui de Mia Farrow dans « Rosemary’s Baby », dont « Joshua » pourrait se lire comme une suite où le bébé diabolique aurait grandi. Quant au regard stoïque de Joshua, comment ne pas penser aux enfants mystérieux et tyranniques du « Village des damnés » ?

Mais le film, fort heureusement, sait avec talent se détacher de ces références avant qu’elles ne deviennent encombrantes, et parvient à vivre une existence propre et, il faut le dire, assez angoissante.

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

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