JE NE VEUX PLUS Y ALLER MAMAN
Une météorite qui laisse des traces
C’est dans les années 1990 que Antonio Fischetti, journaliste chez Charlie Hebdo, décide de tourner un film et se fait aider par Elsa Cayat, psychanalyste ayant une rubrique dans le même journal. Malheureusement le film ne se fera pas et arrive alors des années plus tard, une date fatidique, le 7 janvier 2015 qui va bouleverser l’existence de Charlie Hebdo avec dans sa foulée le monde tout entier. Antonio Fischetti, par un concours de circonstances, n’était pas présent lors de l’attentat, lui évitant une mort possible. Commence alors pour lui un long travail d’introspection autant de son deuil, consistant à s’interroger sur le pouvoir des mots…
Le 7 janvier 2015, la rédaction de Charlie Hebdo est prise pour cible par des terroristes. En résulte une hécatombe, entre la perte de grands artistes autant que de vieux amis, et le trauma laissé est indélébile. Indélébile mais jusqu’à quel point ? C’est la question qu’Antonio Fischetti se pose jusqu’à ses retranchements. Journaliste chez Charlie Hebdo depuis 1997 où il s’occupe majoritairement des chroniques sciences (« L’Empire des sciences ») et l’écologie, le survivant hasardeux se retrouve presque 10 ans plus tard à vouloir clôturer un chapitre pour mieux avancer, pour se délaisser d’une quête qui pèse peu à peu trop sur sa tête et à l’intérieur de celle-ci. C’est alors qu’il décide de sortir les vieilles archives de son projet inachevé et de tenter de lui apporter une fin. Une finalité par laquelle il espère trouver une sorte de paix malgré la perte de ses amis. Et d’une partie de lui finalement.
Le documentaire a l’intelligence de prendre le contre-pied total de ce qu’avaient pu faire Emmanuel Leconte et Daniel Leconte avec "L’humour à mort" en décembre 2015 (soit à même pas un an des tristes événements). Ici pas de pathos ou de voyeurisme, l’intérêt pour le réalisateur-journaliste est de retranscrire seulement son ressenti et les paradoxes qui habitent son être et qui peuvent peut-être expliquer pourquoi Dieu l’a sauvé ce jour-là. En plus de ne jamais tomber dans la facilité de la forme, avec au passage des expérimentations de rêveries déstabilisantes et touchantes à la fois, le regard sincère et intime de ce monsieur qui cherche à se reconstruire ne peut que nous toucher au cœur. Hormis Willem (dessinateur emblématique du journal), « seul pont avec le Charlie de son enfance » comme le dira Antonio, ne vous attendez pas à voir des images d’archives en pagaille des disparus et du moment où tout a basculé. Le film s’attarde seulement sur le point de vue du cinéaste, comment il a vécu et perçu ces rencontres et comment l’idée de prédestination est un puzzle quantique qu’il décide de vouloir dépecer.
Les plans de coupes avec GoPro embarquée sur la moto dans les méandres Haussmanniens parisiens retranscrivent à merveille cette idée qu’il est difficile d'organiser cet essai vidéo comme un devoir maison avec des chapitres : ces rues interminables, géométriques et qui partent dans toutes les directions semblent dessiner une carte mentale de la réflexion d’Antonio. Difficilement rattrapable par les biais narratifs classiques du documentaire, le reporter décide de jouer à fond la carte du film amateur ou plutôt dans ce cas précis de « cinéma du vrai ». Au choix d’intégrer des vrais partis pris de mise en scène (se filmant sur trépied et angle fixe plein de mousse dans sa baignoire ou lorsqu’il fait dodo) jusqu’aux choix des musiques souvent joyeuse, il nous délivre une œuvre peut être moins facile d’accès mais d’autant plus sincère que tout le long il remettra en cause sa légitimité jusqu’au moment où finalement il n’est plus question de savoir si il méritait ou pas les choses, mais d’accepter que ce soit passé ainsi.
Cette image de fin d’Antonio barbotant dans le canal de son enfance, entouré de couvertures de Charlie qui prennent l’eau, est d’une sensibilité rare dans ce genre de démarche. Il se met à nu, et nous avec, surtout quand il interroge le lien étroit entre le sexe et la religion, entre la vierge Marie et la prostituée Momo, entre ce que l’on croit et ce qu’on nous dit de croire. Et quand on réfléchit au sens du titre, on ne peut qu’esquisser un sourire lorsqu’on constate que la phrase vient de "La pêche aux moules", chanson paillarde de cours de récré évoquant autant les souvenirs d'insouciances que de rébellion douce, et qu’on fait le lien étroit entre ses paroles et Charlie Hebdo. A force d’être fustigé par la population, nous n’irons plus à la pêche aux moules et ça chers ami(e)s, c’est triste. D’une utilité presque philosophique, on peut donc recommander fortement cet hommage sincère et vibrant à la liberté des choses, pour contrer cette censure préventive qui contamine de plus en plus nos sociétés.
Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur