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JE NE SUIS PAS UN HOMME FACILE

Un film de Eléonore Pourriat

Ce n'est pas un sujet facile

Après un choc violent, Damien, un Parisien qui possède pas mal d’attributs du macho lourdingue de base, se retrouve propulsé dans un monde parallèle matriarcal. Il va devoir surmonter son nouveau statut d’homme inférieur…

Sortie le 13 avril 2018 sur Netflix

Les films français qui proposent d’inverser les rôles hommes/femmes, cela peut donner le meilleur ("Jacky au royaume des filles") comme le pire ("Si j’étais un homme" ou "De l’autre côté du lit"). Pour son premier long métrage, Éléonore Pourriat s’attaque donc à un défi délicat : interroger les stéréotypes de genre et la domination masculine en faisant basculer les personnages d’un côté à l’autre.

Comme Riad Sattouf avec Jacky, la réalisatrice centre son propos sur un personnage masculin, conférant à son film un atout majeur : montrer que l’égalité des sexes est l’affaire de tout le monde et pas seulement des femmes. En revanche, contrairement à Sattouf, Pourriat choisit un cadre réaliste, comme elle l’avait déjà fait avec son court métrage "Majorité opprimée" en 2010 – et comme le propose aussi la très bonne web-série ""Martin, sexe faible". Si le passage au monde parallèle repose sur l’idée ultra-classique et métaphorique du choc physique, ce subterfuge a son intérêt dramatique car il permet une meilleure identification au personnage de Damien, rapidement et efficacement présenté dans les premières scènes comme l’archétype du macho sans intention malveillante (dit autrement : le mec balourd mais a priori pas méchant, qui n’a pas vraiment conscience des conséquences de ses actes, propos ou pensées).

En inversant les normes pour créer un monde crédible (sauf la réflexion peu convaincante sur l’horloge biologique appliquée aux hommes), Éléonore Pourriat vise en plein dans le mille, ridiculisant tous les rapports de domination (sans se limiter au sexisme puisque le mépris de classe en prend aussi pour son grade) et tous les clichés, des plus flagrants aux plus subtils. Avec un humour parfois acide, elle interroge les inégalités professionnelles, les attributions artificiellement construites d’émotions à tel ou tel genre, ou encore la perception des corps, de l’habillement et de la sexualité.

L’intelligence des situations et des répliques tient dans la stricte application de situations réelles, avec une simple bascule des rapports hommes-femmes. Le moindre détail fait sens et devient percutant : les détournements de publicités (« Prince Boum-Boum »…), de films (la fameuse réplique « Tu les aimes mes fesses » du "Mépris" avec un beau cul de mec !) ou de classiques littéraires (dans la bibliothèque d’Alexandra, on aperçoit "L’Amant", "Monsieur Bovary" ou encore "Des souris et des femmes"), ou encore le jeu de poker où deux reines l’emportent sur une paire de rois. En outre, le tout est impeccablement joué, avec un duo principal composé de Marie-Sophie Ferdane, fabuleuse d’androgynie, et de Vincent Elbaz, superbe en macho comme en homme sensible, et avec des personnages secondaires bien pensés, comme celui de Blanche Gardin ou ceux d’interprètes moins connus tels que Pierre Bénézit (la tête d’affiche de "Majorité opprimée", qui retrouve un rôle similaire d’homme soumis), Juliette Plumecocq-Mech (qui met au service du film sa caractéristique ambiguïté physique) ou encore Fredouille Lopez (inconnu au bataillon mais excellent en concierge/homme de ménage).

Le tout aurait pu finir en eau de boudin avec un final en forme de happy-end ou une morale trop explicite, mais le twist prévisible est heureusement évité, et la conclusion, enveloppée par un titre hypnotique de Perfume Genius ("Choir"), provoque un émoi potentiellement indélébile.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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