HINTERLAND
Fond noir sur fond vert
Synopsis du film
Vienne, 1920. Peter Perg, soldat de la Grande Guerre, revient de captivité après l’effondrement de l’empire austro-hongrois et découvre la transformation de sa ville, toujours plus rongée par le chômage et les pulsions nationalistes. Il se sent étranger chez lui. Soudainement, plusieurs vétérans sont brutalement assassinés. Touché de près par ces crimes, Peter Perg s’allie à Theresa Korner, médecin légiste, pour mener son enquête…
Critique du film HINTERLAND
On devait jusqu’ici au réalisateur Stefan Ruzowitzky "Les Faussaires", drame autrichien auréolé de l’Oscar du meilleur film étranger en 2008 mais surtout combinaison adroite de drame et de thriller sur fond de guerre et de nazisme. Même si le curseur du temps est quelque reculé, "Hinterland" mange un peu du même pain en encapsulant un pitch de killer-movie poisseux à la "Seven" dans un cadre fortement marqué par la montée du nationalisme. La nouveauté de ce film, qui n’aura pas échappé à tous ceux qui auront vu sa bande-annonce, tient dans un hommage à l’esthétique expressionniste du cinéma allemand – surtout celui estampillé Wiene ou Murnau – qui revisite l’époque par une armada de cadrages biscornus, de déformations architecturales et de perspectives surréalistes (oui, un immeuble peut ressembler à un monstre effrayant en fonction de l’angle choisi !). Un gimmick visuel certes dans la lignée du "Cabinet du docteur Caligari" de Robert Wiene, mais qui fait tout sauf pièce ajoutée, puisqu’il sert avec brio la déformation psychique de son protagoniste – un flic marqué au fer rouge par son expérience de la guerre – et l’univers mental dans lequel il ne cesse de patauger.
Cela étant dit, cet art de l’incrustation et de l’artificialité revendiquée n’en reste pas moins un exercice casse-gueule, sur lequel la suspension d’incrédulité vis-à-vis de l’abus de fonds verts peut très facilement se manger le mur – les désormais pas si récents "Capitaine Sky" et "Immortel (ad vitam)" l’ont hélas bien démontré. Il y a donc fort à parier que chaque spectateur ne recevra pas le film de la même façon, mais pour peu qu’on adhère à sa proposition et que l’on assimile l’utilité narrative cachée derrière cet artifice, "Hinterland" séduit parce qu’il ne laisse jamais ses audaces plastiques supplanter l’enquête policière (ici plutôt captivante) et transformer ses acteurs en pantins mécaniques (ils sont tous très bons). Notons aussi que la cruauté n’est jamais absente du récit, l’ambiance morbide qui caractérise cette cité fantomatique s’accompagnant ici d’une série de meurtres sadiques qui malaxent les tripes et d’un fond perturbant – parce qu’armé d’une ironie douloureuse – sur la notion de sacrifice en temps de guerre. Comme quoi, loin de se contenter de séduire l’œil, ce film-ovni a surtout l’audace de mettre son spectateur à l’épreuve. Les uns adhéreront, les autres rejetteront. Nous, on prend.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur