HEIS (CHRONIQUES)
La naissance d’une grande réalisatrice
Synopsis du film
En quête de réussir sa vie, Pìa, 25 ans, désespérée après une accumulation de difficultés, doit retourner vivre dans sa famille. Son objectif : revenir pour mieux repartir. Son frère jumeau, Sam, qui vit toujours chez leur mère, n’appréhende pas la vie sous le même angle et ne tolère pas la vision de sa sœur. Qui a tort ou raison ? Le droit de partir ou le devoir de rester ?
Critique du film HEIS (CHRONIQUES)
Il est génial de constater qu’une poignée de savants fous du découpage cinématographique continuent d’œuvrer dans l’ombre, moins pour le consolider que pour le briser en mille morceaux, quitte à embrasser une nouvelle forme d’écriture cinématographique à la manière d’un Jean-Luc Godard travaillant façon Rubik’s Cube la déformation (ou la reformation ?) du médium – remember "Adieu au langage". Autodidacte multi-supports (mise en scène, écriture, arts plastiques, théâtre) et nourrie d’une approche intuitive vis-à-vis du médium pratiqué, Anaïs Volpé entérine ce constat par une exploration assidue du « cross-média ». En effet, le projet "Heis" ne comprend pas seulement un long-métrage, mais aussi une web-série et une installation plastique. De par ce triangle à la fois protéiforme et équilatéral, une nouvelle écriture peut alors naître, résultat logique d’une génération qui contribue à démocratiser l’image et sa propagation par de nouveaux outils. De nouvelles visions, disons plutôt. Et comme on se retrouve face à un scénario oxygéné à l’air du temps, le résultat a valeur d’objet unique en son genre, ancré à 100% dans le contemporain.
Le sens du titre – un mot grec – donne au film sa valeur : une quête d’unité, davantage en tant que pièce d’un ensemble qu’en tant que pièce autonome. De par une structure narrative très inhabituelle et un découpage polyphonique qui se cale sur l’état d’esprit de son héroïne, le résultat relève clairement du film mental. Le tout consiste alors à serpenter à travers les images, à travailler le sens du film par association d’idées et à chercher une unité thématique avec une liberté rarement offerte. Et cette liberté est celle d’une génération Y, grouillant de vidéastes qui se construisent par la pratique et la débrouille, ne serait-ce que par souci d’aller jusqu’au bout d’une ambition personnelle. "Heis" est ainsi fait : un film générationnel tourné avec le budget café-croissants du dernier film de Luc Besson, mais surtout un nouveau cinéma gorgé d’intuitions qui (se) cherche et qui, au final, (se) trouve.
Le fait que le film enfile comme des perles les critères du film auto-généré dans l’urgence n’est en rien un défaut. Car cette urgence se reflète dans le film : l’héroïne ne cesse jamais de mettre en perspective la façon dont sa génération subit les transformations du monde réel (chômage, cocon familial, menace terroriste, surexposition des médias…), et s’en sert en tant que réalisatrice pour traduire des angoisses qui ne doivent pas rester enfouies. Le choix d’un découpage en « chroniques » (un segment pour chaque jour) vient même se placer en contradiction avec ce qui est énoncé : parfois, la pensée fuse jusqu’à la contradiction, et même la confusion règne en superposant les images, les idées, les voix et les bandes sonores. Savoir a posteriori que le résultat ne relève pourtant ni de l’autoportrait ni de l’improvisation (tout a été écrit !) a clairement de quoi laisser bouche bée.
Forcément, une narration aussi chaotique n’est pas sans causer quelques soucis, entre une voix-off qui tend parfois vers la paraphrase et une poignée de lapalissades trop écrites qui auraient davantage d’impact dans un livre. Mais cela va de pair avec la logique mentale et cyclothymique du récit, tant le film, imprévisible jusqu’au bout, ne cesse de switcher d’une zone du cerveau à l’autre. Il y a en tout cas ici un signe évident de modernité dans la façon qu’a Anaïs Volpé de retravailler le langage cinématographique comme de la pâte à modeler. Il y a aussi – et surtout – un vrai geste frappant dans un film qui, sous le vernis de l’expérimentation, hurle un puissant désir d’expression qui touche au cœur autant qu’à l’esprit. De quoi nous donner envie de célébrer la naissance d’une grande réalisatrice.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur