ÉVICTION
Le difficile équilibre entre portrait d'une communauté et approche des mutations immobilières
A Montréal, dans le quartier Hochelaga, cinq colocataires d’un triplex doivent se préparer à quitter les lieux, suite à la vente du bloc. Derrière les individus, c’est toute une communauté queer qui est impactée, perdant un lieu d’échanges, de fêtes et de création, qui a marqué la vie LGBT de la ville, mais c’est aussi la question des investissements immobiliers et de la gentrification qui se pose…
Démarrant sur des plans filmées au téléphone portable sur les différentes pièces d’un appartement vide, le documentaire québécois "Éviction" y reviendra sur sa fin avec l’emballage des cartons, le déménagement, et surtout ce dernier plan sur une lampe allumée posée au sol. Une sorte de symbole qui signifie au fond que la vie, malgré tout continuera... ailleurs. Entre temps, Mathilde Capone aura suivi non seulement les locataires, appartenant à la communauté LGBTQ, mais aussi des gens de passage, laissant entrevoir leurs différences, tout autant que ce qui les rassemble. Certaines scènes permettront en même temps d’évoquer la lutte pour garder la maison, les tentatives pour bloquer la hausse des loyers, l’impossible équation qui met les locataires individuellement face à leurs propriétaires, la logique des investisseurs, la flambée des loyers, et l’explosion des prix dans un marché tendu.
Portrait d’un touchant petit groupe d’individualités marquées, pour lesquelles le politique fait partie du quotidien, le film donnera tout de même la sensation de naviguer entre deux eaux, un peu au hasard des moments captés : la description d’une communauté en lutte permanente et l’approche, assez marginale au final, des logiques de renouvellement urbain et de gentrification des quartiers centraux autrefois abordables. La mise en scène n’aide par moments pas, avec notamment cette sorte de confessionnal improvisé dans un coin sangria d'une fête, alcôve ceinturée de tissu métallisé. Reste un état d’esprit d’ensemble positif et jamais résigné, et l’évitement de tout aspect dramatique. "Éviction" nous fait naviguer ainsi sur le fil du rasoir en termes de ressenti, tout en nous faisant nous interroger sur le lieu d’arrivée de tout ce petit monde.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur