ELSE
Quand économie rime avec génie
Anx vit dans un appartement dans une ville de France quelconque. De nature timide, il décide de sortir un soir et rencontre Cass, solaire et loufoque, qu’il ramène chez lui. Une histoire commence à naître entre ces deux opposés lorsqu’une maladie inconnue fait son éruption et provoque un confinement des populations. Anx et Cass commencent alors à vivre un début d’idylle alors que les problèmes extérieurs deviennent de plus en plus graves, mettant en péril leur petit nid d’amour…
Avec "La Damnée" de Abel Danan, en cette rentrée, le concept de confinement dans le cinéma de genre français est une préoccupation pour ces jeunes auteurs émergents, aussi bien sur le côté enfermement avec le confinement pendant trois mois « enfermé » chez soi, que sur l’aspect historique qu’à notre siècle quelque chose de cette ampleur puisse impacter à ce point nos civilisations. Le premier film cité plus haut prenait la direction de l’isolement provoqué par cette période d’une jeune étudiante qui perd peu à peu les pédales. Et même si le film se permettait de sortir de son lieu unique à des fins narratives, le thème principal était bien la solitude et le fait de se retrouver face à soi-même et son passé. Thibault Emin, réalisateur de "Else" a fait de ce postulat de base (une maladie, un enfermement, un protagoniste prompt aux crises d’angoisses) un prétexte pour lorgner finalement plus du côté du conte que du film d’horreur introspectif.
Le cinéaste, après avoir dirigé de nombreux courts métrages et clips vidéo, se retrouve à écrire et réaliser son premier film avec le soutien du CNC dans le programme de l’aide au film de genre. Adapté lui-même de son court métrage précédent du même nom, le film suit Anx, jeune homme vivant dans une chambre aux aspects infantiles, collectionnant des jouets d’un passé oublié et traversant la vie en étant presque seulement un passager silencieux. Lui qui n’est pas de nature extravertie, se surprend alors quand il se rend à une soirée et rentre bras dessus bras dessous avec la belle Cass qui représente tout son opposé. Elle est solaire, loufoque et dégage une présence perturbante au départ pour Anx, et peu à peu, alors que les événements s’enveniment à l’extérieur, leur ébauche de couple les amènera à franchir les obstacles ensemble, malgré leurs différences.
On pourrait croire à un scénario classique lors des 20 premières minutes, mais c’est pour mieux nous rappeler que les Français en ont sous le capot ! Le film donnait déjà des indices : une réalisation efficace et soignée, un travail sur la lumière et une mise en scène maline autant pour décrire les rapports entre nos deux tourtereaux (ne serait-ce que cette séquence introductive un lendemain de gueule de bois) que pour les scènes de tensions. Avant de nous rappeler la triste réalité du monde, le film se mue en une ode à ces marginaux qui sont « trop ». Trop timides, trop maniaques, trop angoissés, trop déjantés. Ces deux personnages que tout oppose, finalement s’accorde parfaitement (incroyable incarnation de Matthieu Sampeur et Edith Proust), notamment dans une séquence presque clipesque où le grain numérique apporte une intimité touchante proche de ce que Michel Gondry avait accompli avec "Eternal Sunshine of the spotless mind" (2004).
Lorsque l’aspect au premier abord science-fiction du film avec ses corps qui se métamorphosent au contact avec les éléments, on constate toutes les idées et visions de cinéma dont est capable son auteur. Ce début, alors plus proche de la science fiction, avec un côté aussi bien universel que intimiste ("Le Règne Animal" peut aller se rhabiller), trouve un écho en nous assez perturbant. Lorsque Cass constate médusée à la fenêtre qu’un SDF fusionne avec son trottoir, l’envie d’inclure du sens dans ce léger concept de body horror est plus que louable. Certains clameront que ce n’est pas assez subtile, mais il est important de rendre ce genre de message accessible à tous tant le film prend un rythme de plus en plus lancinant et déroutant au fil du récit. "Else" n’oublie pas non plus l’humour, avec de belles idées de séquences comme cette discussion entre voisins via le conduit d’aération qui donne au film un ton parfois décalé, subtilement absurde. Un procédé bien utilisé, soulignant cette situation presque ubuesque qui pose finalement une question bien réelle : sommes-nous prêts à changer ? Évoluer ? Qu’il s’agisse d’un choix ou non.
Et c’est là que le métrage se transforme lui aussi en quelque chose de plus expérimental, avec ce noir et blanc, mais aussi avec cette notion de body-horror poussée dans des séquences impressionnantes autant par l’économie de moyen que par ceux mis en place à l’écran. L’attaque de l’appartement est un très bon exemple de ce que papy Spielberg nous a démontré avec "Les Dents de la mer" en 1974 : plongeant l’ensemble dans un noir profond, hormis les personnages, cela permet de donner à cet espace étriqué une dimension bien plus spacieuse. La course poursuite cauchemardesque s’en voit renforcée avec des relents esthétiques nous font penser aux scènes cultes de "Under the Skin" (Jonathan Glazer, 2014). Honnêtement le film regorge de ce genre de trouvailles (avec Bakka le chien et son effet trompe l’œil qui ridiculise pas mal de jump scares modernes ou encore une séquence de cache cache dans le placard magistrale montrant l’ingéniosité de la mise en scène et du mixage sonore, donnant à celle-ci des airs de "Jurassic Park" urbain).
Et on pourrait continuer des heures durant mais c’est bien cette notion de fusion (passion?) dans le couple, dans les émotions, dans soi-même, qui est au cœur du film. Avec dans son dernier acte des visuels sortis tout droit de tableaux surréalistes, le film achève de nous convaincre, offrant ainsi des séquences où l’émotion nous effleure ainsi que l’expression de la détresse face à cette situation infernale qui ne semble avoir qu’une issue. Et on ne spoilera rien ici pour les diverses surprises bien entendu. Nous sommes conscients également des limites de ce genre de propositions comme l'attestent les échecs de tentatives comme "Eden Log" de Franck Vestiel en 2007 ou encore "Dante 01" de Marc Caro en 2008, qui lui aussi n’avait pas rencontré ni son public ni l’appréciation de la presse. Et on ne vous certifie pas ici que le film n’a pas de défauts (notamment le rythme, mais aussi certains éléments un peu lourdingues comme avec ce système de surveillance nommé BigBrotherhood…). Mais c’est peut être ça qui nous a plu : ils ont osé emmener leur sujet le plus loin possible, dans le bon comme dans le mauvais goût, avec une direction artistique à tomber par terre, et épaulés par deux comédiens touchés par la grâce. Anything Else ?
Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur