DUEL À MONTE CARLO DEL NORTE
Un chaos pour dénoncer le chaos ?
Synopsis du film
Slide, un cowboy guitariste, arrive à Sourdugh Creek, une ville isolée au milieu des montagnes et des forêts. Le maire y impose sa loi, prêt à tout pour s’enrichir. Son nouveau projet va semer le chaos : pour accueillir une équipe de tournage venue d’Hollywood, il veut construire un barrage et un hôtel-casino : Monte Carlo del Norte. Pour cela, il doit raser une partie de la forêt et engloutir un village de pêcheurs…
Critique du film DUEL À MONTE CARLO DEL NORTE
On ne peut pas dire que Bill Plymton a perdu de son mordant ni de sa folie créatrice, même si ce nouveau cru peut dérouter les habitués de son œuvre. Toujours seul à la manœuvre pour créer chaque dessin de ses films, le voilà toutefois épaulé par Folimage (cocorico !) pour la mise en couleur de son dernier long métrage (présenté il y a deux ans à Annecy dans une version non définitive). Cette nouveauté peut déstabiliser les aficionados de Plympton car cela renouvelle un peu son style : bien moins coloré qu’à l’accoutumée (sauf pour certaines scènes qui relèvent de l’onirisme ou du fantasme), "Duel à Monte Carlo del Norte" se dote d’une atmosphère plus sombre, avec une dominante marron. Cela peut rendre le film moins pétillant que les œuvres antérieures de Plympton, mais il faut reconnaître que cela colle bien à l’univers du western, avec un personnage qui semble à mi-chemin entre Clint Eastwood et Lucky Luke.
Même si la tonalité est elle aussi plus sombre, on retrouve l’humour satirique de Plympton qui canarde tous les pans de la société américaine, de l’ultralibéralisme au bigotisme en passant par la violence systémique, le patriarcat ou encore le mépris de l’environnement, ne manquant pas non plus d’égratigner Hollywood au passage. On sent que le trumpisme est passé par là et que, même si l’actuel président américain n’est pas cité ni caricaturé dans le film, Plympton tire à boulets rouges sur l’Amérique réactionnaire et les républicains radicaux qui lui ont permis d’accéder au pouvoir par deux fois (remarquons par ailleurs que Plympton a réalisé en 2018 une série animée intitulée "Trump Bites").
On regrettera pourtant que l’ensemble soit aussi décousu, car le film ne trouve jamais vraiment son rythme, entre scènes virevoltantes et passages un peu trop mous. Le montage se perd souvent dans la volonté de développer trop de personnages et de thématiques – et on aurait pu se passer de certaines idées, comme cette créature (Hell Bug) qui sort un peu de nulle part au point de perturber un scénario qui n’avait pas besoin de cette touche fantastique. Auparavant, Plympton gérait savamment ses joyeux bazars, mais il faut admettre qu’ici, on a régulièrement l’impression qu’il se perd dans son récit, même s’il finit par fermer toutes ses boucles narratives. Cette faiblesse structurelle n’anéantit heureusement pas le propos et on continue de s’enthousiasmer sur l’absence de limites de cet artiste hors du commun (citons par exemples les mécanismes destinés à faire danser les seins des prostituées ou la relation complètement cinglée entre un acteur et sa marionnette-lapin). Pour finir sur une dernière note positive, soulignons l’apport de la compositrice Maureen McElheron, collaboratrice de longue date de Plympton, qui signe une nouvelle fois une chouette BO, plutôt orientée du côté du blues et de la country, en plus d’assurer la voix d’un des personnages principaux, Delilah, qui est peut-être la figure la plus intéressante du film.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

