DRONE
Drone(s) de drame(s)
Synopsis du film
Émilie est une jeune étudiante en architecture qui, le soir, travaille comme cam-girl pour arrondir ses fins de mois. Une nuit, elle remarque qu’un drone silencieux l’observe à la fenêtre de son appartement. Un phénomène qui ne cesse de se reproduire chaque soir, avec une insistance et une proximité de plus en plus renforcées. Tour à tour protecteur et inquiétant, le drone transforme alors l’existence d’Émilie en cauchemar paranoïaque…

Critique du film DRONE
Il est désormais nécessaire de repenser et de réinvestir l’espace. C’est non seulement ce à quoi sont confrontés les étudiants en architecture parmi lesquels figure l’héroïne de "Drone", mais c’est aussi, et avant tout, une vraie question de cinéma. Derrière cette assertion semble se nicher une nécessité somme toute très contemporaine : opérer un changement d’angle permettant de percevoir autrement un lieu, un environnement, voire une atmosphère précise. Et sur la question de la mise en scène (et de ce que ce terme implique en termes d’utilisation d’outils technologiques), la figure du drone, de plus en plus démocratisée au sein du 7ème Art, se devait d’avoir son propre film. C’est que mine de rien, cet outil a su s’installer en rupture des précédents canons du thriller moderne. Jouer sur la multiplicité des moyens de communication (visuels ou sonores) pour accoucher d’un fascinant chaos graphique, influer sur la lisibilité de l’action pour refléter la perte de repères de l’individu au sein d’un système noyé sous les systèmes de surveillance, pénétrer la paranoïa ambiante par des dispositifs suintant la manipulation du visible : tout ça, on connaît, on a déjà fait le tour de la question, des uppercuts sensoriels de Tony Scott aux perspectives théoriques de Paul Greengrass, en passant par les trompe-l’œil sophistiqués de Brian De Palma.
À chaque fois, dans tous ces thrillers à haute teneur paranoïaque, l’utilisation de la technologie laissait planer l’omniprésence d’un « œil » invisible, s’immisçant dans la vie privée des individus. De facto, le drone pouvait en soi se contenter d’incarner le reloaded de cet état des lieux, avec encore et toujours ce vieil adage sur une caméra dont les évolutions technologiques porteraient en elles le renouvellement capital du médium autant que d’inévitables craintes de dérive – ce n’est pas James Cameron qui nous contredira. Or, la paranoïa imposée par l’outil vient d’ailleurs : non seulement ce nouvel œil demeure de l’ordre du visible (y compris la nuit !), mais il peut désormais se faufiler partout, tel un voyeurisme 2.0 qui redessinerait les contours de l’espace visité et pénètrerait la bulle privée de tout un chacun. De par son concept et ses partis pris narratifs (l’un étant en fin de compte le corollaire des autres), "Drone" prend acte de tout cela et change la donne. Non pas en imitant la nouvelle signature Michael Bay (celle d’"Ambulance", avec ses travellings vertigineux en drone qui défient la gravité et tentent d’apprivoiser le chaos en action), mais en osant la mise en perspective de son propre support.
La clé théorique du film tient dans ce splendide plan-séquence d’ouverture où le subjectif du drone, épiant la surface d’un immeuble à la recherche d’une fenêtre allumée sur laquelle se focaliser, fait mine de singer la tentation hitchcockienne ("Fenêtre sur cour", bien sûr) pour lorgner vers des perspectives infiniment plus modernes et malines. C’est que Simon Bouisson, loin de s’en tenir à un discours éculé sur les dangers de la technologie, vise surtout à délester son spectateur de sa position de témoin passif pour au contraire l’inviter à embrasser celle du voyeur actif et à questionner son propre regard (mieux : ses propres pulsions). Les choix narratifs qu’il met en place vont tous dans ce sens. D’abord une jeune et belle héroïne (Marion Barbeau, la révélation d’"En corps") qui, de par son statut de double proie (celle d’une technologie ô combien intrusive et celle d’un male gaze résultant de sa pratique du caming), fait parfois songer à une héroïne de giallo modernisé. Ensuite par cette sous-intrigue à base de romance saphique qui, comme chez De Palma, titille le voyeurisme du public à des fins d’entrisme, le drone agissant ici comme un piège en vue subjective qui suscite un vrai malaise. Enfin par cette recomposition duplice de l’espace visité par le biais du découpage – Bouisson monte ici une séance de réalité virtuelle en raccord direct du subjectif d’un drone épiant la ville et se faufilant dans des dédales architecturaux noyés dans la pénombre.
Cela dit, dans la mesure où questionner le support n’interdit pas non plus de jouir de ce qu’il offre comme perspectives purement visuelles et immersives (on insiste fort là-dessus), "Drone" n’oublie jamais sa nature de thriller au sens propre, avec ce que cela suppose de péripéties, de rythmique et d’intensité à savourer au premier degré. Sans aller jusqu’à en abuser, Bouisson ne rate pourtant jamais l’occasion d’utiliser le drone pour accoucher de travellings qui filent un vertige démentiel (nos deux préférés : le stade désert et le parking souterrain !) et aussi, de façon plus large, pour filmer le dédale urbain de Paname d’une façon assez inédite. La fluidité assez folle de la narration découle elle aussi de ce parti pris – c’est la vitesse même de l’outil qui pèse lourd sur les inégalités de rythme au sein du découpage. De même que la progression du récit, à force d’intégrer des pros de l’utilisation sportive du drone afin de résoudre l’énigme, évolue peu à peu vers un effacement des lignes de fuite du monde extérieur au profit d’un duel symbolique : d’un côté, une héroïne qui veut se réapproprier son corps et son espace ; de l’autre, une technologie qui tend à l’en déposséder. C’est l’enjeu du film en tant que thriller. C’est aussi une belle façon de souligner le relief et l’ambivalence d’une création dont l’usage est source de vertige, pour le meilleur comme pour le pire. Le cinéma, ce drone qui ne s’ignore pas.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur