DOUNIA ET LA PRINCESSE D'ALEP
L’exil à hauteur d’enfant
A l’âge de 6 ans, Dounia, petite fille de la ville d’Alep, en Syrie, voit sa maison détruite. Elle part alors avec sa grand-mère et d’autres personnes en direction de l’Europe. Aidée par des graines de nigelle qu’elle emporte avec elle, elle espère passer les obstacles qui lui permettront de trouver sa nouvelle maison…
Dans un champ de pistachiers, un homme lit des poèmes à une femme, qui enlève son voile, révélant une chevelure noire pleine d’étoiles. Neuf mois plus tard naîtra Dounia, la petite narratrice de cette cruelle mais poétique histoire d’exil. Son prénom signifie « la terre (entière) », « le monde », et sa bouche est en forme de pistache. D’emblée la poésie et la symbolique s’invitent ainsi dans le récit, son cri à la naissance, si fort, aurait même fait sonner les cloches de la cathédrale d’Alep et chanter le muezzin sur son minaret, tel un trait d’union entre deux religions, peut-être pas si ennemies. Mais les petits bonheurs et les chansons du début, autour de la grand-mère et du canari Habibi, sont vite chassés par l’enlèvement du père. Et après une ellipse d’un an, nous projetant au cœur de l’inflation galopante et des bombardements, le périple peut commencer, une fois sa maison détruite.
Pour survivre à de telles épreuves (traversée en bateau, comportement des passeurs, quotas aux frontières…), qui mèneront sa famille et d’autres en Grèce, à Budapest et ailleurs, vers une Europe censée être un refuge, il faudra une dose de magie (représentée ici par les graines de nigelle que Dounia emporte, mais aussi par la Princesse d’Alep qui veille sur elle), et un espoir chevillé au corps. Cet espoir, le personnage de la petite fille le transmet au spectateur, par la douceur de sa voix, les commentaires mêlés de sagesse, et cette nouvelle maison à laquelle elle écrit. Poétique pour mieux faire passer l’inadmissible, magique pour mieux représenter les obstacles auxquels font face les migrants, "Dounia et la Princesse d'Alep" émeut.
En termes de style graphique, il adopte avec intelligence un dessin au style épuré, usant de formes rassurantes (les rondeurs de la grand-mère…), et variant lorsqu’il s’agit d’histoires contées (la première est en blanc sur fond noir, et se fonde sur des formes géométriques). Généreux et malgré tout optimiste, le scénario rappelle au passage, sans jamais verser ni dans le misérabilisme ni dans le pathos, le destin de nombreux syriens (6,6 millions d’exilés et 6 millions de déplacés). Une œuvre à la fois poétique et pédagogique, tendre et cruelle, pour ouvrir les yeux des enfants sur une situation qui malheureusement, perdure.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur