DOMAS LE RÊVEUR
Entre onirisme candide et célébration de la liberté
Domas est un petit garçon rêveur. Après avoir croisé un général qui l’a aidé à repêcher son petit avion dans un lac, il espère le retrouver à travers ses rêves. Avec le soutien de plusieurs camarades qui voudraient aussi en savoir plus sur le militaire, Domas cherche à s’endormir à tout moment dans l’espoir de le revoir…
Inédit en France, ce film lituanien de 1973 est à voir soit en l’abordant avec la même candeur rêveuse que le personnage principal, soit en le replaçant dans le contexte soviétique de sa réalisation. Si l’on reste dans le premier cas, cela reste une œuvre pleine de tendresse sur l’innocence de l’enfance, qui pourra porter petits et grands dans une fascination partagée pour la rêverie. Un peu à la manière de "L’Histoire sans fin" (toutes proportions gardées d’un point de vue fantastique) ou du "Ballon rouge" d’Albert Lamorisse, "Domas le rêveur" est ainsi une ode à l’imagination et un joli récit à hauteur d’enfant.
Le film prend une autre dimension si l’on essaie de percevoir comment son réalisateur, Arūnas Žebriūnas (décédé en 2013), s’y est pris pour contourner l’inévitable censure soviétique qui s’abattait sur la création et pour faire de "Domas le rêveur" un véritable plaidoyer pour la liberté. Le double prétexte de l’enfance et de l’onirisme lui permet en effet de contourner les contraintes morales ou politiques. Aux yeux des autorités, il était ainsi possible d’envisager que le film était un divertissement sans prétention idéologique ou – mieux encore – qu’il tournait en dérision la bourgeoisie (potentiellement visée par la référence aux interprétations des rêves ou au yoga ?), l’Occident et l’Amérique (symbolisée par le camarade harceleur et son chapeau de cow-boy ?) ou encore l’oisiveté (le père de Domas, bien loin de l’idéal du travailleur dévoué à la cause communiste !). De même, ce long métrage pouvait faire illusion en donnant l’impression de glorifier l’Armée soviétique à travers le personnage du général ou de la présence de chars nazis matérialisant les ennemis dans les rêves du petit garçon (dont l’esthétisme met par ailleurs la couleur rouge à l’honneur). Pourtant, ce film est aussi un hymne à ce que l’URSS abhorrait : la paresse, la singularité des individus, le libre arbitre... Arūnas Žebriūnas brouille ainsi les pistes dans un magnifique pied-de-nez à la censure.
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur