DEUX SOEURS
Une femme en colère
Pansy est rongée par la colère, passant son temps à réprimander son entourage. Son mari ne sait plus comment la gérer, son fils préfère l’ignorer. Sa sœur, Chantal, pourtant son opposé, semble elle continuer à vouloir l’aider…

Malgré ce que peut laisser penser le titre, il ne s’agit pas d’une adaptation du roman de David Foenkinos ou d’une nouvelle version du film éponyme de Kim Jee-Woon. Non, ''Deux sœurs'' est le retour de Mike Leigh, après des passages vers les récits d’époque (''Mr. Turner'' et ''Peterloo''), à ce qu’il sait faire de mieux : les drames intimes de protagonistes appartenant à une classe sociale peu aisée. À ce titre, le nouveau métrage du réalisateur britannique est à la fois exemplaire de ses thématiques chères et un pont évident avec plusieurs œuvres de sa filmographie, à commencer par sa Palme d’Or ''Secrets et Mensonges'' avec qui il partage la même actrice, Marianne Jean-Baptiste.
Bien que les premières minutes peuvent laisser penser à une comédie, c’est sur un cauchemar que débute l’intrigue, celui de Pansy, une de ces femmes dont on se dit que « ce ne doit pas être facile de vivre avec elle ». Il faut dire que la quinquagénaire passe la majeure partie de son temps à râler, contre à peu près tout, lorsqu’elle n’est pas occupée à insulter, à peu près tout le monde. De la caissière à son mari, de sa sœur à son fils, tout le monde y passe. Forcément, découvrir un tel personnage aigri, injurieux sans raison, peut prêter à sourire. Mais rapidement la légèreté va se couvrir d’un épais voile sombre, mélancolique et dramatique. Car ces cris ne sont que l’écho d’un mal-être bien plus profond, une douleur dont la violence des mots ne suffit pas à soulager, encore moins à guérir.
Dans cette famille que l’on comprend dysfonctionnelle, le cinéaste se refuse à nous apporter des réponses, à nous révéler les origines des maux. Peut-être parce que tout cela est plus complexe, qu’une seule explication ne peut suffire pour résumer et appréhender des années de souffrance. Subtil portrait d’une mère enfermée dans sa propre colère, le film est aussi la chronique d’une famille qui n’arrive plus à communiquer, de deux sœurs ayant grandi ensemble et pourtant, apparemment, de manière si éloignée. De ce contraste entre la bourrue et la solaire, Mike Leigh en tisse une tragédie bouleversante et élégante, où les non-dits et le hors champs ont un poids bien palpable à l’écran.
À l’image du titre original (bien meilleur), ''Hard Truths'', les dures vérités ne sont certainement pas celles que la protagoniste hurle à son entourage, mais celles enfouies qu’elle ne peut se résoudre à affronter. En plongeant dans la psyché tourmentée de son héroïne, le métrage nous offre un moment suspendu, épuré et presque non cinématographique tant il rejette tout artifice. De cet aspect profondément humain, émane aussi le principal défaut de l’ensemble : en repoussant toute velléité scénaristique autre que la capture des émotions, ''Deux sœurs'' finit par manquer terriblement de souffle, réinsistant sur des tourments déjà sublimés la séquence précédente. Cela reste une exploration saisissante des blessures de l’âme, mais dommage que la caméra se répète autant.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur