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DERNIER ETAGE, GAUCHE, GAUCHE

Un film de Angelo Cianci

Inspiré et maîtrisé, drôle et dramatique

Vienne dans le quartier du Grand Estressin, de nos jours. François, huissier de justice, se rend chez Abdelmoumen pour faire son travail de recouvrement de dettes. Accompagné de gendarmes, il affole le fils de la famille en possession de cocaïne dans l’appartement. Dans la confusion, François finit par pénétrer dans l’appartement, et se retrouve retenu en otage par le père et le fils…

Ce huis clos des banlieues laisse des traces… durablement. Angelo Cianci, dont c’est le premier long-métrage, a écrit et mis en scène un film qui mûri dans l’esprit du spectateur bien après la séance cinéma, et qui, comme un bon vin, prend de la valeur avec le temps.

Sous ses airs de simple prise d’otage dans une tour d’une banlieue de province (Vienne en Isère), « Dernier étage, gauche, gauche » creuse en réalité bien plus profond. C’est une étude sur une partie de notre société d’aujourd’hui recluse dans son ghetto, avec ses propres codes. Nombreux sont les films qui se sont penchés sur les cités, tous ayant apporté leur vision et leur appel à ne pas les laisser de côté. Ce film est une nouvelle pierre à l’édifice, taillée dans du roc de qualité, avec ses beaux reflets argentés (les comédiens) et ses petites imperfections (une lumière parfois pas assez maîtrisée).

Sur le fond, Angelo Cianci ne traite jamais la banlieue de manière manichéenne. Il fustige ses travers (trafics de drogue, libre circulation d’armes à feu), déplore l’irrespect entre les générations et les défauts de langage de ceux qui ne parlent pas correctement « la France » ! Par ailleurs, il valorise ses liens intrinsèques et ne stigmatise jamais une population ou une classe sociale. Enfin, il dénonce la disparition des médiateurs de quartier, sacrifiés sur l’autel des économies, alors qu'ils sont indispensables au maintien du dialogue social et au lien avec la société.

Pour faire passer son message, il introduit une tierce personne, bien française de souche, dans cette cité où il la met en prise directe avec ses occupants : leurs relations vont peu à peu évoluer, les langages vont trouver un moyen de communication commun permettant de bâtir une nouvelle relation entre eux. Le réalisateur fait ainsi l'apologie de la mixité sociale.

Sur la forme, Angelo Cianci alterne les styles entre réalisme et fiction, entre comédie et drame, un mariage des genres qui chez lui fait des ravages. On rit beaucoup, les dialogues sont très bien écrits, les situations s’enchaînent aisément et les comédiens portent leur personnage fidèlement. L’interprétation des trois principaux acteurs est par ailleurs bluffante. Hippolyte Girardot trouve la juste composition d’un huissier de justice (loin de caricaturer le métier, contrairement à ce que la profession a bien voulu nous faire croire) qui passe de la victime à l’agitateur. Mohamed Fellag tire son épingle du jeu, sous ses faux airs de père dépassé et sainte nitouche. La révélation, enfin, vient du jeune tunisien Aymen Saïdi, qu’on croirait natif de cette cité dont il connaît par cœur la gestuelle, le langage, les tics et les tocs. Plus vrai que nature - en jeune, paumé et manipulé par plus lourd que lui - il dégage quelque chose d’indéfinissable, entre attachement et répulsion. Sa sincère et énergique interprétation de ce rôle lui a d’ailleurs valu le prix du Meilleur Espoir masculin au Festival de St-Jean-de-Luz 2010.

Le film, quant à lui, est reparti de ce même festival avec le Prix du Jury Jeune. Un prix qui ne signifie pas que le film s’adresse davantage aux adolescents et encore moins aux jeunes des cités. Bien au contraire, le premier long-métrage d’Angelo Cianci s’adresse à toutes les générations et aux gens de tout milieu. Alors n’oubliez pas de vous arrêter au dernier étage à gauche puis encore à gauche, vous n’en ressortirez pas comme vous y êtes entré.

Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur

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