DARIO ARGENTO, SOUPIRS DANS UN CORRIDOR LOINTAIN

Soupir tout court

Synopsis du film

Le journaliste Jean-Baptiste Thoret fait deux entretiens avec Dario Argento à vingt ans d’écart : le premier à Turin en 2000 pendant le tournage du « Sang des innocents », le second à Rome en 2019 alors que le cinéaste prépare un nouveau film. De nombreux extraits des films du cinéaste viennent alors illustrer ses propos…

Critique du film DARIO ARGENTO, SOUPIRS DANS UN CORRIDOR LOINTAIN

Retrouver ce documentaire en bonus au sein de l’imposant et magnifique coffret Blu-ray récemment consacré à Dario Argento par l’éditeur Les Films du Camélia n’a strictement rien d’étonnant, tant on estime a posteriori que sa seule place aurait dû être celle-ci. Avoir sorti en salles durant l’été 2019 ce qui ne s’avère être qu’un (plus ou moins) luxueux bonus DVD sonne presque comme une aberration, et ce en dépit de toute l’admiration que l’on peut avoir pour Jean-Baptiste Thoret et pour ses autres documentaires récemment sortis au cinéma. Quand bien même le principe du film consiste à installer une grosse ellipse temporelle entre deux entretiens, l’idée se révèle un piège dans la mesure où Dario Argento met les choses au clair au début de chacune des deux parties : dans la première, il confie avoir du mal à parler de ses films et de lui, et dans la seconde, il estime qu’il n’a pas changé et qu’il est toujours resté le même (ce sur quoi on le croit volontiers). Dès lors, bon courage pour saisir par le biais de ce documentaire la possible transformation (autre que celle, évidente, de l’âge) d’un artiste qui, après avoir été capté dans toute sa fibre créatrice et impliquée sur un plateau de tournage (première partie), passe en mode mélancolique en revenant sur les lieux fondamentaux de sa carrière (seconde partie). D’un côté comme de l’autre, le sujet reste le même. Le fond reste le même. Et qu’importe si la forme change.

Thoret tente certes de différencier les deux parties par un parti pris esthétique (d’abord le filmage délavé et granuleux, ensuite le Scope HD en noir et blanc) tout en soulignant de petites variations bien senties entre les deux parties (Dario conduit d’abord lui-même sa voiture et se laisse conduire après, Dario parle d’abord surtout de cinéma pour ensuite parler surtout de l’Italie contemporaine, etc…). Le problème d’ordre général vient du ton abordé. La première partie se voulait certes une enquête destinée à la préparation par Thoret d’un futur livre édité par les Cahiers du Cinéma, mais le journaliste et réalisateur avait-il vraiment besoin de plaquer sur ces images des extraits en off – pour le coup tellement trop écrits qu’ils en deviennent pontifiants – de son analyse personnelle des films d’Argento ? Non seulement on jugera la lecture du livre plus intéressante en soi, mais cela contraste avec la démarche récurrente de Thoret de se mettre en retrait lorsqu’il réalise un documentaire. Une mise en retrait qui aura toutefois lieu durant la seconde partie, laquelle tient lieu de ballade mémorielle dans une Rome différente de celle d’avant, mais avec la présence trop lourde – parce que trop appuyée – du célèbre Tours du Monde, Tours du Ciel de Georges Delerue (un thème ô combien sublime mais que l’on estime être depuis longtemps la propriété privée des films de Jean-Claude Brisseau !).

La ballade a certes quelque chose de très agréable dans la mesure où le film, s’il ne révèle pas l’ombre d’une demi-information nouvelle pour le fan inconditionnel du réalisateur de "Suspiria", permet de revivre a minima les souvenirs d’une époque en compagnie de l’objet de son admiration. Ont ainsi lieu différentes visites : celles d’un musée, de jardins romains, de la bibliothèque d’"Inferno" ou même de la maison en ruines de "Ténèbres" – ce qui permet à Thoret d’en pasticher lui-même le célèbre plan-séquence à la Louma sur fond d’un remix sépulcral du célèbre thème du film. La ruine est d’ailleurs un motif très récurrent au sein de ce documentaire, ce qui amène une autre interrogation : au vu de ce que "We blew it" et son superbe documentaire sur Michael Cimino avaient déjà mis en perspective, Jean-Baptiste Thoret se la jouerait-t-il Jia Zhang-ke vis-à-vis de ses cinéastes de prédilection ? Sa fascination se focaliserait-elle uniquement sur la ruine et jamais sur la nouveauté ? Si mélancolie il y a en lui, pourquoi ne dégage-t-elle que de la tristesse pour ce qui disparaît et en aucun cas de la curiosité pour ce qui émerge ? Le doute reste entier dans la mesure où Argento lui-même, en tant que cinéaste clairement romantique, avait su reprendre à son compte l’héritage de Mario Bava et tant d’autres pour ensuite l’amener vers une modernité et une inventivité des plus stimulantes. Du coup, l’entendre ici contredire cet état d’esprit en estimant désormais que le cinéma est « un art destiné à mourir » a quelque chose de troublant. Autorisons-nous le droit de contester cette lecture et d’estimer qu’au contraire, le cinéma est loin d’avoir dit son dernier mot.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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