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COGAN – LA MORT EN DOUCE

Un film de Andrew Dominik

La crise économique chez les gangsters !

Alors que la campagne des présidentielles américaines bât son plein en pleine crise financière, Russel se dirige vers son rendez-vous avec une armée de petits chiens en laisse. Il retrouve son ami Frankie qui lui propose un deal avec Johnny Amato, celui-ci voulant braquer un tripot, sorte de maison de jeu clandestine, où des escrocs se retrouvent à miser de fortes sommes d’argent au poker…

Pour son « Cogan, La mort en douce » Andrew Dominik nous convie à une fable sur l’Amérique de la bannière étoilée et le capitalisme roi. Avec la crise financière qui est passée par là, on voit bien comment cette dernière a pu influencer le travail du réalisateur de « L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford ». Finalement, son troisième long métrage peut être vu comme la transposition symbolique des fortunes réalisées par les magnats de la bourse avant qu’un trader fou ne fasse partir le pactole en fumée. Soit, dans le Dominik, deux braqueurs à la petite semaine qui font sauter la banque et qui ont leur tête mise à prix sur le marché !

Il ne faudrait donc pas se laisser endormir par l’apparente simplicité de l’histoire de vengeance mafieuse. Pour en apprécier toutes les subtilités, il faut gratter un peu pour atteindre la seconde couche du polar. Le deuxième effet kiss cool en quelque sorte. Car l’histoire, adaptée du roman « L’art et la manière » de George V. Higgins, n’est que prétexte à Andrew Dominik pour corréler le monde des malfrats avec celui des banquiers et de la finance. Il en fait plus qu’un parallèle. En chacune des crapules du film, on pourrait voir une caricature d’un pantin du système financier. Des bandits pleins aux as jouent leur argent sale au poker : n’est-ce pas ce que font tous les jours les traders sur les marchés de la bourse ? Et quand un braquage a lieu au tripot et que leur système mis en place tout entier s’effondre, n’est-ce pas comme la crise des subprimes aux États-Unis qui a ébranlé tout le monde de la finance ?

Il est intéressant également de voir comment Brad Pitt traite ses futures victimes. Dans une tirade faite à Richard Jenkins, Pitt explique longuement comment il est gêné de les tuer car, sentant la fin proche, elles se lamentent, pleurent, jurent sur leur mère… Pourtant, plus tard dans le film, on se rend bien compte que Pitt les exécute froidement et sans aucune compassion. Comment ne pas y voir un lien avec certains banquiers qui expriment leur désarroi devant le client mis sur la paille, avant de l’achever par derrière en hypothéquant sa maison ? La mort en douce affichée n’a jamais été aussi froide, directe et sans morale. C’est certainement là qu’Andrew Dominik frappe le plus fort dans son film.

Mais son œuvre peut être aussi vue comme un simple petit polar avec de bons personnages, de bons dialogues et une bonne petite intrigue. Dans cette optique, Andrew Dominik arrive tout juste à amuser la galerie. Brad Pitt cabotine un peu en tueur à gage glacial, Ben Mendelsohn ravit dans son rôle de déchet humain qui vole des chiens pour les revendre à prix d’or aux retraités de Floride, Richard Jenkins déroute en intermédiaire mystérieux, Ray Liotta hallucine en victime bouc émissaire et James Gandolfini fatigue dans la peau d’un des rôles les plus inutiles jamais vus au cinéma !

Ensemble, ils forment une belle bande de pourris attachante que ne renierait pas Quentin Tarantino à qui le livre d’Higgins serait allé comme un gant. Car si le réalisateur de « Kill Bill » n’était pas au Festival de Cannes en 2012, son âme (à défaut de sa trempe) était bel et bien présente à travers l’œuvre de Dominik programmée en compétition officielle. Alors certes Dominik avait déjà montré dans ses précédents films ses prédispositions aux longs discours, aux rythmes saccadés et aux images léchées, mais on sent fortement ici les deux réalisateurs sur une même longueur d’onde. La scène où Brad Pitt tire sur Ray Liotta, bijou visuel (ralentis, vitre qui se brise, gouttes de pluie) et auditif (éclats de verre, musique en décalage) rappelle le brio de celle de l’accident de la route dans « Boulevard de la mort ». Problème : Andrew Dominik n’explose jamais vraiment les codes du polar et le sentiment de déjà-vu prédomine dans son métrage.

La première lecture du film décevra donc fortement les attentes des fans du réalisateur et de l’audience en général. C’est en creusant un peu avec sa deuxième lecture politico-financière que l’on pourra prendre le plus de plaisir et qui fera certainement prendre au film, avec l’âge, une vraie place dans le cœur des cinéphiles…

Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur

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