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LA CHAMBRE BLEUE

Un film de Mathieu Amalric

Enquête en chambre

Julien et Esther sont amants. Tous les jeudis, quand la voie est libre, ils se retrouvent dans la chambre bleue d’un petit hôtel pour vivre passionnément leurs ébats. Mais quand la passion dérive en crime, Julien se voit accusé de meurtre…

Curieuse, cette adaptation d’un roman de Georges Simenon par Mathieu Amalric, dénuée de toute tension criminelle au profit d’une exploration des corps et des psychologies troubles de quelques rares personnages, prisonniers de quelques rares décors. Étrange, mais fascinante, cette façon qu’il a de privilégier un découpage serré plutôt que les mouvements de caméra, l’indistinction temporelle plutôt qu’une narration classique, de construire son film sur une suite de plans statiques pour ne faire naître le mouvement que par le montage.

Récit éclaté, éparpillé à la manière des pièces d’un puzzle policier, "La Chambre bleue" raconte moins des événements que des états d’esprit, des faits que des souvenirs. La mémoire en est le dénominateur commun, à travers la sempiternelle question posée par le juge : « Que faisiez-vous tel jour ? » Mais qui saurait répondre à cela, se rappeler des détails d’une journée qui, vécue dans le présent, n’avait rien d’original en regard de toutes les autres ? L’existence est différente quand on la vit et quand on se la remémore – rétorque Julien au juge. Pareillement, un film est différent quand on le tourne et quand on en agence les plans au montage. Le problème est ainsi le même pour Amalric, pour Julien – joué par le réalisateur lui-même, justement – et pour le spectateur : comment recomposer un récit qui s’est éparpillé en autant de souvenirs qu’il y a de secondes dans une vie ?

Il faut donc se fier aux personnages, à ces deux amants vivant leur amour furieusement, désespérément, à l’insu (croient-ils) de ceux qui partagent leur vie, mari, femme ou enfant. Eux sont les fils d’Ariane du récit, eux nous permettent de voguer entre présent (l’interrogatoire), passé (aventure passionnelle et récit criminel) et passé plus lointain (les souvenirs échangés entre Julien et Esther lors de leurs retrouvailles, au bord d’une route, sur leur relation de jadis).

Eros et Thanatos coexistent dans la froideur des intérieurs (le bureau du juge, étriqué ; la maison de Julien, moderne jusqu’à l’abstraction), contre la rigidité de la justice qui s’immisce dans la passion. Il n’y a pas d’amour possible autre que celui, brûlant et éphémère, qui unit les deux amants : la tendresse seule définit les rapports entre mari et épouse, l’habitude seule enchaîne les hommes aux femmes. Il n’y a pas de rapports humains autres que l’entrelacement fusionnel des corps de Julien et Esther : les autres, tous les autres, sont dans le pur exercice du quotidien. C’est aussi cet éloignement social que filme, en creux, Amalric, notamment lorsqu’au tribunal, l’un des témoins accuse formellement Julien armé seulement de ses préjugés : n’est-il pas coupable, nécessairement coupable, cet homme qui a réussi dans les affaires, « avec sa fichue baraque », et qui possède en apparence tout le bonheur souhaité par ses compatriotes ? Que Julien soit coupable ou pas importe peu. Le fait est qu’il abdique, terrassé par les doutes alentours, et parce que là où il n’y a plus de passion, il n’y a plus de vie.

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

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