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CARRÉ BLANC

Abstraction faite du scénario

Dans un univers de science-fiction dénué de nom comme d’époque, Philippe et Marie grandissent ensemble au sein d’un orphelinat. Leur apprentissage leur apprend à affronter une société qui fait la part belle à l’individualisme et à l’autoritarisme. Devenus adultes, ils se sont mariés et installés ensemble…

En mars 1961, Philippe Ragueneau, sous-directeur des programmes de la Télévision française, s’inquiète du pouvoir qu’a la télévision de pénétrer sans sommation chez les familles, et institue en conséquence le marquage des émissions « dangereuses » d’un carré blanc, dans un but de protection de la jeunesse. Ces émissions, diffusées à des horaires plus tardifs que les autres, laissent aux parents, soucieux de la sérénité de leurs enfants, deux solutions : « fermer le poste de télé à clef ou se faire obéir » *. Il s’agit de bien éduquer ses rejetons et le carré blanc, signalétique explicite, permet de prévenir la violence de la société environnante.

L’omniprésence du carré blanc, dans le premier long-métrage de Jean-Baptiste Léonetti, revêt quantité de sens différents. Le carré blanc, c’est l’écran de cinéma : une toile sur laquelle chacun peut projeter ses fantasmes. Le carré blanc, c’est aussi la page vierge, libre au premier venu de la remplir de son encre dramatique. Mais c’est aussi, en regard de la signalétique télévisuelle des années soixante, un avertissement contre la violence au quotidien, cette violence qui s’insinue dans les immeubles, les foyers puis les esprits, de la même manière que les images le font par le biais des ondes hertziennes. S’il n’y a pas d’images télévisées dans « Carré blanc », c’est parce que le monde anticipatoire de Léonetti a remplacé les tubes cathodiques par une éducation autoritariste et déterministe, qui tend surtout à bien se faire obéir de la jeunesse. En somme, les êtres humains, déshumanisés au possible, se sont changés en figurines de plateaux télé, des modèles de pacotille prétendant façonner au mieux les consciences de leurs concitoyens dont ils se nourrissent ensuite littéralement (clin d’œil à « Soleil vert » de Richard Fleischer). Philippe lui-même, le héros de cette histoire, devient l’un de ces modèles : revêtu du costume de cadre impavide, il enseigne à ses employés l’individualisme et l’imposition par la force ou par l’intelligence.

Sorti de ce constat symbolique, la tentative de Jean-Baptiste Léonetti apparaît aussi remarquable que dénuée d’intérêt. Esthétiquement, « Carré blanc » impose la force tranquille de ses intérieurs monochromes, de ses comédiens inexpressifs et de son atmosphère lourde comme une chape de plomb. Ses idées visuelles en réfèrent à d’illustres modèles sociaux et anticipatoires, le cinéaste ayant été nourri aux films de genre des années soixante-dix, et citant volontiers Pakula ou Kubrick. On ne sera donc pas étonné de rencontrer du George Lucas dans son goût pour l’abstraction visuelle (« THX 1138 ») et du Terry Gilliam (« Brazil ») dans la portraitisation d’une humanité aussi souriante en façade qu’elle est vide à l’intérieur, à l’image du vigile du parking arborant toute la journée un impeccable sourire.

Mais les bonnes idées, affranchies d’un tout narratif, ne font pas les films réussis. En dépit de ses deux comédiens irréprochables (Julie Gayet et Sami Bouajila, qui gagne en puissance au fur et à mesure des prestations), Léonetti ne parvient jamais à nous intéresser à leurs trajectoires croisées, ni non plus à ce semblant d’émotion qu’on sent poindre parfois en eux. En substance, ce « Carré blanc » est une belle figure en dehors, mais une figure vide en-dedans.

* Assemblée du Conseil supérieur de la RTF du 26 février 1961.

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

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