CABO NEGRO
Plaidoyer pour la jeunesse marocaine
Synopsis du film
C’est l’été au Maroc et deux jeunes amis débarquent dans la luxueuse villa de Jonathan située au bord de la mer Méditerranée, dans la cité balnéaire de Cabo Negro. Le riche américain, propriétaire des lieux, tarde à rejoindre Soundouss et Jaâfar pour finalement ne jamais arriver… Alors, en son absence, les deux amis marocains prennent leurs aises mais se retrouvent assez vite sans le sou…

Critique du film CABO NEGRO
Abdellah Taïa est une figure incontournable de la scène littéraire et artistique marocaine. Ecrivain et réalisateur, il est le premier intellectuel marocain à avoir publiquement revendiqué son homosexualité, en 2006. En 2013, il réalise son premier long métrage "L’Armée du salut", adapté de son roman éponyme, qui sera notamment présenté à la Mostra de Venise. Abdellah Taïa fait ainsi figure de pionnier en traitant ouvertement d’homosexualité au Maroc. Avec "Cabo Negro", son deuxième film, il récidive en portant à l’écran l’histoire d’un jeune gay et d’une jeune lesbienne marocains confrontés à une triste réalité sociale dans un décor idyllique.
C’est ce contraste qui marque d’abord les esprits. Les deux jeunes évoluent dans des paysages magnifiques de mer, de plage, de forêt de pins, de cimetière surplombant les flots bleus… et pourtant ils devront endurer de terribles situations pour continuer à vivre dans ce paradis. La vie ne leur fera aucun cadeau. Ils sont tout simplement abandonnés. Abandonnés par les puissants, au travers de l’image de l’amant américain qui ne tiendra jamais sa promesse de les rejoindre dans la maison. Abandonnés par leurs aînés qui les maltraitent et abusent d’eux. Tous les adultes qui les rencontreront leur tomberont dessus et useront de leur pouvoir et de leur position dominante.
On ne peut pas faire plus clair pour dénoncer, en un film, la situation sociale et politique du Maroc vue à travers la caméra du réalisateur Abdellah Taïa. L’artiste marocain, qui vit à Paris depuis 1999, confirme son statut de voix dissidente sur son pays. "Cabo Negro" résonne comme un cri de désaccord puissant, intime et profondément politique de la situation dans laquelle se trouve le Maroc. Heureusement, pour lui, la jeunesse s’entraide et s’organise, et il voit en elle le remède de tous les maux de son pays d’origine. Elle crée des liens et des ponts avec les parias du pays tels cet ex-détenu sans abri et ces migrants affamés. Ce sont les jeunes, les révolutionnaires qui agissent pour le bien de leur pays. Abdellah Taïa lève le bras en signe de résistance en croyant à la force et à la solidarité de cette jeunesse unie face au système politique en place.
Et dans les personnes à défendre, il y a bien sûr les LGBTQIA+. Au Maroc, l’homosexualité est aujourd’hui encore criminalisée et passible de prison. "Cabo Negro" traite de front ce sujet en montrant la double vie imposée de certains homosexuels marocains et en parlant du traumatisme infligé à des enfants qui subissent des agressions à répétition. Abdellah Taïa représente cette jeunesse forte et généreuse directement sous les traits de deux personnages queers, un gay et une lesbienne : un beau message de tolérance et d’inclusion pour cette communauté et un beau plaidoyer pour cette jeunesse qui fait acte de résistance et de modernité.
"Cabo Negro" oscille constamment entre le réalisme et l’onirisme, ce qui pourra paraître assez difficile d’accès pour certains. Abdellah Taïa laisse, en effet, le spectateur trouver et modeler la matière qu’il offre dans son film. Le rythme est lent, l’histoire prend son temps, à l’image d’un été qui vous assomme de sa chaleur. Tout est dans le cadre, sous nos yeux, mais c’est au spectateur d’assembler le propos, le réalisateur en disant le moins possible et préférant l’image aux longs discours. À nous de construire nos opinions, nos avis, nos pensées et nos revendications semble nous dire Abdellah Taïa. « La connaissance est le début de l'action : l'action, l'accomplissement de la connaissance », disait un philosophe chinois.
Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur