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LA BOITE DE PANDORE

Un film de Yeşim Ustaoğlu

Un air de famille

Trois frères et sœurs reçoivent un coup de fil leur annonçant la disparition de leur mère. Ils partent alors à sa recherche aux alentours du petit village où ils ont grandi. Ils finissent par la retrouver inconsciente dans la forêt et l’amener à l’hôpital. Ils se rendent bientôt compte qu’elle n’est plus capable de vivre seule et décident de la ramener avec eux à Istanbul, où l’inédite cohabitation fait resurgir des tensions longtemps enfouies...

La boîte de Pandore, c’est cet objet bien connu de la mythologie, ouvert par une Pandore insouciante, qui par son acte libère tous les maux de la terre contenus à l’intérieur. « La boîte de Pandore », c’est aussi le quatrième long-métrage d’une réalisatrice turque habituée des récompenses dans son pays et au-delà, Yesim Ustaoglu. Son regard acerbe se porte sur une famille de frères et de sœurs recomposée de force par la lente déchéance neuronale de leur mère, au cœur de la capitale Istanbul, creuset de la modernité turque opposé à l’innocence traditionnelle des régions rurales, forestières et montagneuses, où vivait jusque là la paisible mamie.

La boîte, ici, c’est la cellule familiale, véritable bombe à retardement dont le détonateur ne demande qu’à être déclenché. Face à la tension latente qui sous-tend les rapports sociaux au sein d’une même famille, chacun endosse le rôle de la Pandore mythologique coupable d’avoir soulevé le couvercle et tous se plongent sans ménagement dans la fange de la dénonciation et du sarcasme dès que l’hypocrite et mondaine tranquillité familiale se voit brisée par l’ingérence matriarcale. Cette mamie qui n’a rien demandé à personne et aurait préféré, de loin, continuer de respirer l’air sain de ses montagnes, devient le déclencheur d’un règlement de comptes avilissant.

Génialement incarnée par la « Tatie Danielle » d’Étienne Chatilliez, Tsilla Chelton, elle déambule vaguement dans les appartements des uns et des autres et au milieu des rues serrées d’Istanbul comme le spectre d’un organisme qui fut autrefois bien portant, et apparaît désormais totalement évanescent : l’amour fraternel. Quand le frère et les deux sœurs s’affrontent verbalement en se renvoyant à la figure leurs propres responsabilités, le film, jusque là plutôt juste, s’abîme quelque peu dans la facilité ; mais le doux cynisme des situations détourne heureusement notre regard.

L’essentiel de ce joli film réside cependant ailleurs : dans les trajectoires croisées de deux êtres fragiles, perdus corps et âmes, l’un au milieu d’un nostalgique passé symbolisé par une forêt épaisse (la mamie), l’autre dans cette peur de l’avenir qui justifie les errements adolescents et s’incarne dans le labyrinthe des ruelles et des quais d’Istanbul (son petit-fils bohème). C’est la rencontre de ces deux personnalités, séparées par une génération entière d’adultes fourvoyés, qui donne pleinement à « La boîte de Pandore » son cachet émotionnel : ces deux corps abîmés par l’existence, ceux d’un Murat aux cernes expansifs et d’une Nusret devenue à demi impotente, parviennent à refermer pour eux-mêmes cette boîte de malheur que leurs parents avaient négligemment laissée entrouverte.

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

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