BLACK BOX DIARIES
#WeTooJapan
Depuis son agression en 2015 par un homme puissant et proche du premier ministre, Shiori Itō s’est lancé dans un combat contre les archaïsmes et le système médiatico-judiciaire de la société japonaise. Rien ne pourra l’empêcher d’aller jusqu’au bout de son enquête, visant à obtenir justice, à faire éclater la vérité et à briser le silence…
C’est à la fin de l’année 2017, soit en plein boom de la déferlante #MeToo, que le nom de la journaliste free-lance japonaise Shiori Itō a commencé à apparaître dans nos médias nationaux. Droguée puis violée par un célèbre journaliste local en avril 2015 dans une chambre de l’hôtel Sheraton Miyako de Tokyo, la jeune femme aura entamé un long et lourd combat pour obtenir justice et réparation, dans une société nippone rongée de l’intérieur par les législations absurdes, les archaïsmes en tous genres et les trafics d’influence au plus haut niveau. Rien de simple dans la mesure où le coupable incriminé, Noriyuki Yamaguchi, en plus d’être un dinosaure de la télévision locale, était alors surtout le biographe du premier ministre japonais Shinzō Abe. Furent aussi proches de ce dernier certains policiers chargés de l’affaire, lesquels s’empressèrent vite d’annuler l’arrestation de Yamaguchi et de classer l’affaire sans suite. D’où la stratégie suivante d’Itō : médiatiser publiquement son affaire en multipliant les conférences de presse et les dénonciations de l’attitude de la brigade criminelle, le tout avec le soutien d’avocats et de détectives privés engagés en faveur du changement de la législation japonaise sur le viol, et ce au risque de se heurter à l’incompréhension et au rejet de ses proches ainsi qu’à une vague de réactions haineuses et menaçantes.
Déjà amplifiée par la sortie en octobre 2017 du récit de cette affaire au format littéraire (La boîte noire), la stratégie d’Itō s’élève encore plus haut avec la sortie de ce foudroyant documentaire, réalisé et autoproduit par ses soins. Parce que la jeune femme impose ici un déroulé on ne peut plus clair et synthétique de son parcours de combattante, dont la progression s’accompagne de tous les nombreux enregistrements (audio et vidéo) qu’elle aura tâché de réaliser (parfois en secret) durant ses entretiens et ses confrontations publiques. Sa contestation du système patriarcal nippon se faufile ici par les interstices d’une narration tendue, subjective, symbolique, au fond pas si éloignée de celle du "Citizenfour" de Laura Poitras – les deux films ont en commun de s’ouvrir par l’écoute d’un message sonore dans un tunnel sombre. La force du symbole, ici libérée par le biais de cadrages poétiques à la Chris Marker et de cartons imposant la pudeur du regard sur tout ce qui le nécessite, est la matrice première de ce film courageux et méritant, avançant à rebours de tous les codes les moins subtils du docu-drama. Là-dedans, pas un seul gramme de pathos ou de misérabilisme à relever, juste des faits à ordonner, des actions à souligner et des attitudes – notamment silencieuses – à fustiger.
De cette forme conceptuelle à toute épreuve se dégage surtout une forte croyance dans le potentiel du 7ème Art à porter la voix des faibles contre les forts, à en supporter l’indignation par un puissant soutien narratif en totale adéquation avec la démarche, et à transcender ainsi le combat face à l’injustice et aux archaïsmes d’une société. L’émotion partagée qui en découle est bien la preuve que le message a été parfaitement reçu, et qu’un tel état d’esprit engagé, quand bien même il reste constamment soumis à forte pression, peut compter sur l’Art au sens large pour remonter la pente et tutoyer cette libération intime tant espérée – notons une utilisation pour une fois très sensée du tube le plus célèbre de Gloria Gaynor. Universel et exemplaire, "Black Box Diaries" est destiné à marquer les esprits.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur