AVIGNON

Un film de Johann Dionnet

Un passage du court au long particulièrement réussi

Fatigué des petits rôles et de devoir compléter ses cachets en jouant les serveurs, Stéphane accepte de reprendre un rôle qu’il a déjà joué dans la pièce « Ma Sœur s’incruste« , dirigée par son ami Serge, dans le cadre du Festival Off d’Avignon. Partant tous ensemble dans le van de Serge et sa compagne Coralie, ils s’installent dans une maison avec piscine, et commencent les répétitions, l’affichage et le trasctage. En sortant du théâtre où se jouera « Le Cid » de Corneille, dans lequel sont les bureaux de la comptable, Stéphane retombe sur Fanny, qui joue dans « Ruy Blas » de Victor Hugo, au In du Festival. Celle-ci croyant qu’il interprète le personnage de Rodrigue dans « Le Cid« , Stéphane ne dément pas, se disant qu’elle ne découvrira pas la vérité vu que les deux pièces se jouent chaque jour à la même heure…

Adaptant son propre court métrage "Je Joue Rodrigue", présenté lui aussi il y a quelques années au Festival de l’Alpe d’Huez, Johann Dionnet réussit un passage au long particulièrement remarquable. Comédie romantique aussi fine que profondément humaine, "Avignon" nous propose une plongée au cœur du Festival d’Avignon, en nous permettant de suivre la vie d’une troupe de théâtre en pleine galère, présentant une pièce de boulevard, loin des représentations du In. N’oubliant aucun des rouages de ce fameux festival de théâtre, de l’affichage sauvage au tractage et autres parades nécessaires pour faire connaître sa pièce au milieu d’une offre foisonnante, des soirées sélectes aux fêtes bon enfant entre troupes, le scénario développe aussi en fond les problèmes auxquels sont confrontés les troupes les plus précaires : cachet un soir sur deux, location d'un théâtre, difficultés d’emprunt pour lancer une production...

Autour du personnage principal de Stéphane, trentenaire dont la vocation finit par être ébranlée par le manque de succès (Baptiste Lecaplain), c’est un casting impliqué et enthousiasmant d’interprètes venant tous de la scène qui joue dans le film et rend hommage à cette discipline, tout en questionnant sur la coexistence entre plusieurs conception du théâtre, noble et classique d'un côté, vaudeville et boulevard, mal considérés, de l'autre. Cette dichotomie se retrouve intelligemment dans la relation romantique qui naît entre Stéphane, qui fait semblant de jouer Rodrigue dans "Le Cid", et Fanny, qui joue dans "Ruy Blas", pièce qui raconte aussi un travestissement, celui d'un valet en noble, par amour pour la Reine d'Espagne.

C’est ici toujours avec tact que la relation amoureuse entre Stéphane et Fanny (Elisa Erka, une vraie révélation) est développée, faisant finalement porter sur le mensonge par omission initial, une intention plutôt noble. Et la comédie prend aisément son envol, grâce à des personnages secondaires parfaitement calibrés : le metteur en scène Serge, préoccupé et colérique (formidable Lyes Salem), la femme de celui-ci, Coralie, fatiguée de ses combines et amie de Stéphane (Alison Wheeler), l’apprenti régisseur (Rudy Milstein) et surtout Pat, autre acteur de la troupe, interprété par le réalisateur Johann Dionnet lui-même. Se donnant ici un rôle particulièrement riche et touchant, de dragueur maladroit, d’homme cachant ses déceptions, mais d'optimiste forcené (sa scène de danse sur "Femme Like You" de K.Maro est un régal), il est celui qui tire finalement le mieux son épingle du jeu. Alors embarquez sans hésitation avec cette touchante troupe pour "Avignon", triplement primé au Festival de l'Alpe d'Huez (Prix coup de cœur, Prix des abonnés Canal Plus, et surtout Grand Prix du jury).

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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