AU PAYS DE NOS FRÈRES
Un triple récit, aussi cruel que d'une sublime beauté
Iran, dans les années 2000. Dans une plantation de tomates sous serres, deux jeunes immigrés afghans, Mohammad et Leila, échangent des regards discrets lors d’un repas entre ouvriers. Ils tentent de vivre en secret leur amour, alors que tous les jours, Mohammad, sortant du lycée, se fait arrêter par la police et se retrouve forcé à aider à divers travaux au commissariat. Mais bientôt l’un des policiers semble le prendre sous son aile…

Cela est affiché dès le début du film : il y a en Iran près de 5 millions de réfugiés afghans, depuis les attaques américaines. Divisé en trois chapitres espacés à chaque fois de 10 ans (2001, 2011, et 2021) et portant le nom d’un personnage et d’un lieu, "Au Pays de Nos Frères", du nom donné à l’Iran, prenant ici une signification à la fois ironique et tragique, nous expose le sort de différents immigrées afghans, la fraternité étant souvent remplacée par l’exploitation. On passe ainsi du portrait du lycéen Mohammad confronté aux exactions de la police locale dans une histoire qui convoque des sujets bien plus intimes, à celui de Leila devenue servante avec son mari pour une famille aisée qui s’apprête à partir pour le Canada, pour terminer sur celui d’un couple dont le fils a quitté l’Iran pour un ailleurs que seule la police connaît réellement.
Le film regroupe ainsi trois histoires à la fois lumineuses et tristes, empreintes d’envie de vivre comme de dignité, où la précarité comme l’illégalité peuvent à tout instant tout faire basculer. Au-delà, le film surprend en permanence par sa mise en scène et sa beauté formelle, des plans sur les cultures de tomates, les immenses serres en marge desquelles une certaine solidarité cache un contrôle social important, les routes enneigées, aux cadrages dans un commissariat inondé devenant prison, à l'utilisation du hors champs lorsque l'aide prend une tournure louche. Une musique magnifique et triste aux sonorités de haut-bois accompagne les destins de ces personnages, contraints à des actes extrêmes par leurs situations, ou devant accepter le pire pour simplement survivre. Douloureux et beau, "Au Pays de nos Frères" rejoint le club des grands films iraniens et fait résonner le terme de sacrifice dans toute sa possible cruauté.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur