ANNA
D’argent et de terre
Anna élève seule ses chèvres au cœur de la Sardaigne sauvage. Alors qu’un vaste projet touristique met en péril son activité, elle décide de se battre pour préserver ses terres, même si le reste du village ne la soutient pas forcément dans la démarche…

Anna vit seule au milieu des contrées sauvages de la Sardaigne, avec pour compagnie ses chèvres à qui elle tient tant. Pour autant, elle ne s’empêche pas d’aller danser dans une boîte de nuit locale lorsqu’elle ressent le besoin de lâcher prise, en profitant au passage pour s’amuser avec des rencontres sans lendemain. Son quotidien était celui dont elle voulait, parcourir les marchés pour vendre ses fromages, et il n’y a pas de misérabilisme à sa situation. Car celle qui donne le titre au métrage est tout sauf une victime, et les quasi deux heures du film ne vont faire que le confirmer.
C’est un simple hélicoptère dans le ciel qui sera le messager du drame que s’apprête à vivre la protagoniste. En déposant une Vierge sur un futur chantier, l’engin marque le début d’un quotidien pollué par les bruits des machines qui viennent accomplir les volontés mercantiles d’un projet immobilier. Cette histoire, on la connaît déjà. La nature face aux hommes, l’agriculture face au capitalisme, David contre Goliath. Certes, mais dans le film de Marco Amenta, le reste du village ne se range pas du côté auquel on pouvait l’attendre. Car ce futur grand complexe touristique est porteur de pleins de promesses, de nouveaux emplois et d’une compensation financière immédiate.
Bientôt, seule Anna va rester debout face aux géants mécaniques qui bafouent son sol, celui auquel elle est tant attachée. Problème majeur dans son combat : elle n’a pas de titre de propriété ; autrefois les mots et les poignées de mains suffisaient à conclure les affaires. Et le drame de se napper d’une teinte anxiogène de thriller judiciaire. Engagé et maîtrisé, le métrage est une œuvre qui assume son discours politique, l’assénant sans manichéisme. Souvent composée de plans séquences, cette chronique en langue sarde explore de nombreuses questions, du patriarcat à l’éco-féminisme, en passant par la place du travail des champs dans nos sociétés modernes et la mondialisation.
Le discours n’est pas nouveau, la fin très probablement prévisible par la plupart des cinéphiles, mais l’enjeu est ailleurs, dans le regard de Rose Aste qui éblouit chaque seconde de pellicule de son talent brut. Pas d’artifice, pas d’effet de style, pas de grande leçon, "Anna" est le portrait d’une femme redoutable dans toutes les qualités auxquelles peuvent renvoyer cet adjectif. Et cela mérite largement de s’asseoir sur un siège rouge pendant 118 minutes pour en découvrir la beauté et la complexité.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur