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AMERICAN GANGSTER

Un film de Ridley Scott

Les mafieux sont des capitalistes comme les autres

Au début des années 70, à New York, Frank Lucas, un jeune homme noir, grandit sous la protection du Parrain de Harlem, Bumpy Johnson. Lorsque son protecteur meurt, il prend les commandes de l’organisation et améliore même son efficacité par des innovations d’un cynisme achevé. De son côté, en dépit de ses problèmes de vie privée et de son indécrottable honnêteté, l’inspecteur Richie Roberts cherche à faire tomber tous les gros bonnets de la drogue. Les deux trajectoires de ces hommes profondément solitaires vont se croiser…

Après avoir œuvré avec un talent considérable dans la SF ("Alien", "Blade Runner") ou le péplum ("Gladiator", "Kingdom of Heaven"), Ridley Scott s’attaque cette fois au film de gangster. Sa capacité à faire corps avec son sujet demeure intacte, que ce soit dans la reconstitution d’une époque (le New York des seventies) ou l’inscription d’un un genre ultra-codifié. Son protagoniste se présente ainsi comme le pendant black des mafieux ritals de Scorsese, Coppola et consors. Scott leur emprunte leur dimension mythologique et oppose au lyrisme de ces mafieux « bigger than life » son soucis de réalisme.

Il s’inscrit ainsi en phase avec le personnage de Frank Lucas, privilégiant l’économie et la discrétion au clinquant et à l’emphase. Figure capitaliste, Lucas fait preuve d’une rigueur et d’une moralité qui tranchent avec ses activités peu respectables de trafiquant notoire. En parallèle, le flic incarné par Russell Crowe est un modèle d’intégrité professionnelle quand bien même sa vie personnelle est un désastre. Le montage, remarquable, oppose ces deux trajectoires ambiguës tout au long de 150 minutes d’une fluidité qui force le respect.

La force de la narration culmine dans une dernière demi-heure exemplaire de sobriété où les deux personnages vont se retrouver. Par sa précision et sa véracité, la reconstitution met en exergue un capitalisme écrasant tout sur son passage, éclatant la frontière ténue entre l’idée que l’on se fait de la réussite et ses implications morales. Pour incarner cette ironie implacable (le mafieux est un régulateur social indispensable), Washington et Crowe sont au top. Le génie de Scott quand il s’agit d’emballer des séquences haut de gamme fait le reste. Après "les Infiltrés" l’an passé, le meilleur film de l’année pourrait bien être de nouveau placé sous le signe du gangster.

Thomas BourgeoisEnvoyer un message au rédacteur

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