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A MOST VIOLENT YEAR

Un film de J.C. Chandor

Classe

C'est le grand jour pour Abel Morales, patron d'une entreprise de convoi de fioul. Il se met en jambe grâce à un footing au bord des docks de Brooklyn avant d'aller porter deux valises de billets à Josef, le propriétaire du dock qu'Abel convoite depuis 5 ans. Le compromis de vente se signe avec les 40% de caution qu'Abel a lui-même financé. Le reste le sera par prêt bancaire au bout des 30 jours contractuels. Le problème est que beaucoup de choses vont se passer durant ces 30 jours, notamment les braquages à répétition des camions de son entreprise, risquant de mettre en péril son business…

Abel Morales est un homme de principes. Fils d'immigré, immigré latino lui-même, il est bien décidé à faire table rase de son passé peu glorieux, voire illicite, et à garder les mains propres lorsqu'il s'agit de gérer son affaire. Ce ne sont même pas les violentes attaques à mains armées contre ses camions chargés d'un précieux or noir qui le font s'incliner vers la violence. Il reste droit. Pas facile dans ce New York du début des années 80 où la violence et la corruption explosent. Tout le monde veut des armes pour se protéger, même sans permis. Sa femme, elle, fille d'un grand gangster local, trouve vite que ces principes sont ceux d'une mauviette. Mais Abel sait d'une part que c'est ce qui le distingue de ses concurrents malhonnêtes et d'autre part, ce qui lui permettra d'atteindre la cour des grands et surtout d'éviter les barreaux derrière lesquels le procureur de New York aimerait bien l'envoyer.

Abel contraste tellement avec son milieu et son entourage que l'on se demande constamment s'il va réussir à tenir ses principes. Parfois, on ne sait si le film conte l'histoire d'un honorable chef d'entreprise résistant constamment à la tentation de devenir le produit de son environnement par pure morale ou bien s'il ne s'agit pas en réalité d'un bien malin truand tirant les ficelles de la réussite en prétendant être ce qu'il n'est pas. En plus d'un véritable suspense émanant de l'empathie que l'on ressent envers le couple, il s'agit là d'un des principaux éléments tenant en haleine le spectateur, les deux heures du film durant. La réplique finale aiguillera à ce propos en toute finesse le spectateur.

Lorsqu'on contemple Oscar Isaac, arborant son beau manteau beige qui contraste avec les guenilles de ses rivaux, donnant conseils à ses futur commerciaux, on se dit qu'il n'y avait pas meilleur interprète pour le rôle (même s'il n'était pas le premier choix du réalisateur). L'acteur est tout simplement grandiose, une sorte d'Al Pacino latin au regard déterminé. Oscar Isaac habite Abel Morales et d'ailleurs l'ensemble du casting est juste parfait, de Jessica Chastain à Elyes Gabel. Comme dans "Margin Call". J.C. Chandor prouve encore une fois que, même s'il choisit des acteurs talentueux, il sait les diriger.

Mais ce qu'il sait faire par-dessus tout, c'est maîtriser les fils de la narration. Comme ses deux précédents bijoux, "A Most violent year" prend son temps pour installer le décor et ses personnages. Abel, sa femme, le procureur, le chauffeur, l'avocat… tout ce petit monde et ses mécaniques (celles du milieu du fret pétrolier new-yorkais peuplé de malfrat) sont brillamment sculptés. Il fait naître une âme en chacun de ses personnages en rien de temps à travers des dialogues ciselés. Chaque scène a un propos précis et chaque dialogue sa portée. J.C. Chandor déploie une mise en scène classieuse, classique mais sans aucune fausse note. Il prouve ainsi, lorsqu'il s'attaque au polar urbain, qu'il n'a aucun conseil à recevoir de Sydney Lumet ou James Gray. En trois films, cette fois c'est définitivement prouvé, J.C. Chandor est un grand. A Most Talented Director.

Alexandre RomanazziEnvoyer un message au rédacteur

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