5 SEPTEMBRE

Un film de Tim Fehlbaum

L’écran de la noirceur humaine

Durant les Jeux Olympiques de 1972 à Munich, l’équipe israélienne est prise en otage. En direct à la télévision, des millions de spectateurs vont suivre l’évolution du drame…

Une journée de septembre à jamais gravée dans les mémoires meurtries. L’impensable capturé pour l’éternité. Un attentat en temps réel à la télévision. Pour beaucoup d’entre nous, c’est à 2001 que l’on pense immédiatement, à ces deux tours réduites en poussières sur l’autel du fanatisme. Pourtant trente ans auparavant, le 5 septembre 1972, l’horreur avait déjà trouvé son visage en direct sur les postes de millions de foyers. Pour la première fois, grâce à l’arrivée des technologies satellites, les Jeux Olympiques allaient pouvoir être suivis sans discontinuité, dans le monde entier. La dernière compétition en Allemagne, en 1936, avait servi de tremplin à la propagande nazie. Cet évènement sera celui de la réconciliation, une célébration festive de l’esprit sportif et de la camaraderie. Mais un groupe terroriste en décidera autrement. Alors que les caméras de la planète sont braquées sur eux, ils vont prendre en otage des athlètes israéliens pour réclamer la libération de 234 prisonniers palestiniens. La suite est dans les livres d’histoire ou dans les souvenirs voilés de larmes de ceux qui étaient en âge de fixer un écran à l’époque.

Ce n’est pas la première fois que le cinéma s’empare de cet épisode. On pense notamment au "Munich" de Steven Spielberg ou au documentaire de Kevin Macdonald, "Un jour en septembre". Alors l’angle de Tim Fehlbaum sera de raconter le drame par le prisme de la régie en charge de le télédiffuser. Roone Arledge et Geoffrey Mason ont la mission depuis quelques jours d’offrir à tous les fans de sports les meilleures séquences pour le réseau ABC. Lorsque le second entend des coups de feu au loin, il comprend immédiatement que quelque chose est en train de se tramer à quelques centaines de mètres d’eux. Sous l’impulsion du premier, ils garderont la responsabilité de couvrir ce chaos, eux, les journalistes sportifs, plutôt habitués à commenter des combats de boxe qu’à couvrir les situations géopolitiques de pays étrangers.

Huis clos passionnant et saisissant, le film est un thriller qui laisse l’atrocité en arrière-plan. À l’image d’une caméra à l’épaule qui aurait infiltré les bureaux de production, le spectateur est placé dans les mêmes conditions que ces hommes chargés de décider ce qui doit, ou non, être montré. Combien de sources nécessaires pour affirmer un fait ? Comment nommer ces individus armés à l’antenne ? Capturer les visages des assaillants ? Exposer les corps des potentielles victimes ? Sans surligner les ponts évidents avec notre époque, le métrage interroge notre propre regard face aux images, questionnant la déontologie, la morale et l’éthique à un moment clé de l’audiovisuel, où ne pouvant s’appuyer sur aucun précédent, des reporters ont dessiné les limites de la décence. Dans notre ère de la violence omniprésente, où on l’on ne prend plus le temps de flouter l’infamie pour quelques vues et clics en plus, ce témoignage proche du docu-vérité n’en devient que plus captivant.

"5 septembre" fait partie de ces films dont les qualificatifs sont rares pour retranscrire l’expérience vécue. Dans ce thriller irrespirable, à la tension constante, on ne comprend pas tout le jargon mais on ressent chaque doute, chaque montée de stress, chaque crainte d’avoir influé sur le destin de ces sportifs pris au piège. Emportés dans un tourbillon frénétique, les protagonistes ne cessent de crier, paniquer, essayer tant bien que mal de garder le contrôle face à une situation sur laquelle ils n’ont aucune emprise ni maîtrise. Pourtant, dans cette effervescence permanente, c’est un silence qui choquera le plus, celui des protagonistes après avoir appris l’étendue de la tragédie. Car là-aussi, les mots n’auraient pas été à la hauteur. Intelligent, minutieux, épuré, précis, ce drame nommé aux Golden Globes et aux Oscars s’impose comme l’une des œuvres à ne pas rater en ce début d’année.

Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur

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