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143 RUE DU DÉSERT

Un film de Hassen Ferhani

Un vrai thé au Sahara ?

Dans le Sahara algérien, près de la commune d’El Menia, une vieille femme, Malika, tient un petit café rudimentaire le long de la route nationale 1 qui traverse le pays du Nord au Sud. Les routiers et autres passants s’y arrêtent pour manger, boire un thé, acheter des cigarettes, discuter…

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On pourrait dire que le désert est à l’Algérie ce que le Grand Ouest est aux États-Unis : un front pionnier dans lequel se perdent parfois les illusions et où certaines personnes survivent bien plus qu’elles ne vivent. Ce n’est pas un hasard si Hassen Ferhani filme parfois ce café perdu et sa tenancière comme s’il s’agissait d’un western : les personnes sont parfois mutiques et se dévisagent ou scrutent le vide ; un sac plastique emporté par le vent fait office de tumbleweed (ces boules végétales si caractéristiques des décors de western) ; Malika s’amuse à qualifier des clients d’« Indiens » et d’« Apaches » ; un échange évoque le danger des voleurs (qualifiés de « loups à deux pattes »)... En vraie « reine » des lieux (puisque c’est la signification de son prénom), Malika s’impose dans un univers très masculin (des routiers notamment), mue par un mélange de sagesse, de fatalité et de sacré carafon.

Face à la rudesse de la vie (l’isolement, les vents de sable, la misère des routiers algériens…), son petit café, aussi rudimentaire soit-il, fait presque figure de havre de paix, quoiqu’en péril avec l’arrivée prochaine d’une station essence dont le chantier est bientôt terminé à quelques mètres de là. Comme un "Bagdad Café" algérien, ce "143 rue du désert" devient un lieu où peuvent se rencontrer, parfois furtivement, des personnages que tout paraît opposer. Ainsi, l’arrivée d’une baroudeuse européenne à moto semble provoquer un décalage abyssal avec Malika, mais ces deux célibataires, solitaires et sans enfants, s’avèrent plus proches que prévues. Même si l’Algérienne est quelque peu interloquée par le côté « masculin » de cette voyageuse – côté accoutrement, le public s’amusera pour sa part du fait que Malika porte une veste avec une inscription franchement en contradiction avec elle-même et avec le désert : « Fatal surf » ! Profitant manifestement de la présence d’une caméra pour cracher son venin à haute voix, Malika ne se prive pas, par exemple, de critiquer le côté moralisateur et hypocrite d’un imam après lui avoir subtilement conseillé de reprendre rapidement la route ! Parmi l’exquise galerie des personnages qui défilent à l’écran, paraissent également des habitués, pour qui Malika est une « gardienne du vide ».

Le réalisateur, Hassen Ferhani, ne cherche jamais à accélérer le rythme des lieux, et évite soigneusement toute dramatisation excessive, y compris en refusant de s’approcher d’un bus alors qu’un accident mortel a eu lieu non loin du café. En fait, il colle à ce lieu et à sa propriétaire (qui ne s’aventure pas non plus vers ce bus), ne s’autorisant à traverser la route que lorsque la mise en scène l’exige pour conclure son film.

Alors que le début est composé de plans sobres et souvent fixes, magnifiquement composés, tirant parti du bleu pastel délavé des murs ou de la position côte-à-côte des protagonistes, il est plus surprenant de constater que Ferhani ne cache pas l’artificialité de son dispositif, au point d’intervenir de temps en temps, par exemple en participant à quelques discussions, posant des questions ou se faisant interprète entre Malika et l’Européenne. De même, des regards caméra ou certains recadrages brutaux ne sont pas coupés au montage, pas plus que l’ombre de la voiture utilisée pour exécuter un travelling saccadé autour du modeste bâtiment. Si ces choix déstabilisent, ils confèrent aussi au film une démarche a priori honnête, transparente.

Il y a pourtant une ambiguïté avec la présence de deux hommes : le journaliste, écrivain et acteur Chawki Amari (que l’on a par exemple vu dans "Fatima" ou "En attendant les hirondelles") et l’acteur Samir El Hakim (qui a notamment joué dans "Harragas", "Papicha", "Abou Leila" et, lui aussi, "En attendant les hirondelles"). Pour le premier, pas trop d’entourloupe : il est clairement identifié sous son nom et Malika semble le connaître, puisqu’elle sait qu’il voyage régulièrement à travers le pays et qu’elle l’incite à se marier avec sa copine. Amari est par ailleurs responsable d’un sketch très drôle, improvisé avec la complicité de Malika, les deux mettant en scène un parloir de prison. En revanche, la participation d’El Hakim est plus étrange, puisqu’il semble interpréter un personnage fictif en quête d’un frère perdu, dont se moque ouvertement Malika, qui doute de ses affirmations : « Les gens mentent mais ils ne savent pas mentir ». Intrigant, mais cela ne remet pas en cause l’intérêt de ce beau documentaire.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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