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Hallucinations Collectives 2025

Hallucinations Collectives 2025 – Bilan : Troisième jour

THE RARE BLUE APES OF CANNIBAL ISLE

"The Rare Blue Apes of Cannibal Isle" de Donn Greer - Vinegar Syndrome

"The Rare Blue Apes of Cannibal Isle" de Donn Greer - Vinegar Syndrome

S’il devait y avoir une Palme du WTF dans cette 18ème édition des Hallus, il n’y a aucun souci à se faire : "The Rare Blue Apes of Cannibal Isle" de Donn Greer la chope haut la main ! C’est presque une coutume du festival de confronter son audience à des ovnis si clivants que les réactions en chaîne se font encore sentir des années après – à titre personnel, votre serviteur fait encore des cauchemars la nuit en repensant au fameux "Forbidden Zone" de Richard Elfman !

Mais cette année, pour lancer le diptyque thématique sur le thème de l’« enfant-spectateur » (celui à qui les films sont ouvertement destinés), l’équipe du festival a frappé peut-être un peu trop fort, y compris en allant jusqu’à frapper cet OFNI malaisien d’une interdiction aux moins de 16 ans (quelqu’un a-t-il compris pourquoi ?!?). C’est vrai que le plus difficile là-dedans, c’est d’assimiler ce qu’on voit et d’en reconstituer les liens incohérents qui en font une histoire. Pour faire court, disons que la chose narre la fugue d’un mioche (mal doublé en VO) sur la fameuse « Île Cannibale », peuplée des « Singes Bleus » (ce sont les gentils) et de pirates-crocodiles appelés les « Marécageux » (ce sont les méchants). Pour un peu, on se croirait dans un ersatz cintré de "Peter Pan", avec des chansons pourries en guise de bande-son, une finition de mise en scène si lamentable qu’elle en filerait des conjonctivites à Godfrey Ho, et surtout des costumes pour parade de sous-Disneyland afin de décrédibiliser un univers se résumant à deux bidonvilles et trois radeaux d’infortune.

Nul doute que face à un musical aussi chelou et shooté par une équipe sous substance, une poignée de cinéphages ultra-déviants auront fissa envie de ranger la chose dans leur Panthéon personnel, quelque part entre "The Calamari Wrestler" et "L’Attaque de la moussaka géante". De notre côté, on préférera toujours revoir les "Feebles" de Peter Jackson ou même le second film du diptyque (voir plus bas), et oublier au plus vite ce machin.

LA POURSUITE IMPITOYABLE

"La poursuite impitoyable" de Arthur Penn - Park Circus France

"La poursuite impitoyable" de Arthur Penn - Park Circus France

Derrière le terme « instinct grégaire » (réécrit ironiquement pour nommer l’une des thématiques de cette année) se niche bien évidemment cette propension des individus à installer des dynamiques de pouvoir ô combien manipulatrices, avec les valeurs communes et le rejet de l’individualité en bandoulière, et ce jusqu’à aboutir à un effet de groupe castrateur et intolérant.

Il ne faut donc pas s’étonner de voir "La Poursuite impitoyable", pourtant gros film de studio produit en 1966 par un cador en la matière et signé par l’un des maîtres du Nouvel Hollywood, pousser la porte d’un réservoir à péloches méconnues tel que l’incarnent les Hallus chaque année. On a beau savoir à l’avance que le résultat ne correspondait pas totalement à ce qu’il désirait (le producteur Sam Spiegel ayant confié à des monteurs professionnels le soin de monter eux-mêmes ses propres plans), le grand Arthur Penn n’avait pas attendu la sortie de "Bonnie & Clyde" (tourné l’année suivante) pour s’imposer en peintre intellectuel des tempéraments hargneux et révoltés de la société ricaine. Avec cette histoire survoltée d’une petite ville texane en émoi suite à l’annonce de l’évasion de prison d’un bandit local et de son potentiel retour au bercail, Penn ne fait pas que s’attaquer à cette éternelle propagation de l’intolérance au sens large (du racisme à la ségrégation) et d’une vindicte populaire écrasant de son poids les représentants de la loi. Ce sont surtout les travers de l’Amérique profonde qui passent à l’épreuve de son scanner scopique, avec comme cobayes principaux des caractères ambivalents et contrastés, sur fond de violence sèche, de médisance à visage multiple et d’un degré d’éthylisme qui crève le plafond.

D’une cruauté assez inouïe sur le plan de la critique sociale, d’une violence assez inédite pour l’époque (notons une scène culte de passage à tabac qui repose sur un habile trucage de la vitesse des coups portés) et d’une puissante efficacité sur le rebond permanent de la narration (pas une scène de trop sur 2h15 pleines à craquer !), ce grand classique des années 60 prouve, comme tant d’autres en son temps, que le cinéma hollywoodien peut être à la fois populaire et engagé, intense et intellectuel, ce que les technocrates actuels de la Mecque du 7ème Art ont visiblement de plus en plus de mal à piger, persuadés sans doute que le public est une masse informe et sans cervelle… Ah oui, et pour le casting ? En vrac : Marlon Brando, Jane Fonda, Robert Redford, Angie Dickinson, Janice Rule, James Fox, E.G. Marshall, Robert Duvall, Richard Bradford, Paul Williams, etc… Qui dit mieux ?

THE UGLY STEPSISTER

"The Ugly Stepsister" de Emilie Blichfeldt - ESC Films

"The Ugly Stepsister" de Emilie Blichfeldt - ESC Films

La compétition longs-métrages s’est ensuite poursuivie sur un film extrêmement attendu au tournant, et ce pour de bonnes raisons. Alléchant à plus d’un titre en raison de son postulat de relecture décalée de "Cendrillon" qui adopte le point de vue d’un personnage plus « satellite » (en l’occurrence celui de la belle-sœur « moche » de la belle blonde aux pantoufles de verre), "The Ugly Stepsister" a en tout cas parfaitement rempli son contrat de surprise vénère et sarcastique, lorgnant aussi bien du côté du body horror que d’une esthétique de conte de fées dont il prend plaisir à souiller la surface proprette et bien repassée.

Avec malice et sans schématisme aucun, la réalisatrice norvégienne Emilie Blichfeldt décale en effet le rapport d’empathie propre au conte pour mieux tancer l’éternelle course à la beauté et la souffrance qu’elle ne cesse d’exiger. Le crescendo qu’elle met alors en place s’avère suffisamment mordant pour viser juste et jouer à la harpe avec nos nerfs, zébrant ici et là sa narration de séquences d’horreur et de sadisme qui provoquent un rire nerveux (ou un serrage de dents, c’est au choix), mais dévoilant surtout l’envers du décor de nos contes d’enfance par un regard moderne et acerbe sur les conventions sociales aliénantes qu’elles semblent promouvoir. A ce titre, notons que le personnage de la marâtre est ici encore plus bitch que dans le conte, cette dernière traitant sa marmaille comme une vitrine providentielle censée servir sa propre élévation dans l’échelle sociale.

Et quand il s’agit pour la réalisatrice de renouer de temps en temps avec le merveilleux via des flashbacks éthérés au ralenti ou un bal suintant la fausseté et l’hypocrisie, c’est là encore le rire qui tend à dérégler la mécanique à force d’y insuffler un décalage cruel et modernisé. Par analogie, il suffit d’imaginer une Sofia Coppola qui aurait voulu défigurer puis parfumer à l’arsenic sa Marie-Antoinette coincée dans sa maison de poupées versaillaise pour avoir une idée des partis pris mis ici en œuvre. Autant dire qu’on s’amuse beaucoup tout au long de cette péloche intense qui, en fin de projo, a su susciter des réactions très enthousiastes. La sortie française est en tout cas d’ores et déjà fixée pour cet été – on espère que le succès sera au rendez-vous.

L’AUTRE

"L’Autre" de Robert Mulligan - 20th Century Studios

"L’Autre" de Robert Mulligan - 20th Century Studios

Faut-il vraiment que l’on se soit fait griller la « révélation » au préalable pour deviner le fond caché de "L’Autre" dès ses premières minutes ? On admettra qu’à moins de se montrer attentif aux règles élémentaires de mise en scène (en particulier celle du hors-champ), cela reste de l’ordre du possible. Il suffit pourtant de capturer la complicité de deux frères jumeaux exclusivement dans le cadre de leurs jeux communs (vu que seul l’un d’entre eux opère ici des interactions avec des adultes) et d’une amorce très insistante sur un puits bouché pour saisir où Robert Mulligan veut en venir – notons que le twist interviendra aux deux tiers du récit, histoire de ne pas trop tirer sur la corde. Voilà pour le seul vrai regret de ce grand film dérangeant sur les troubles de l’identité gémellaire et les terribles secrets du monde de l’enfance, inscrit cette année aux Hallus en tant que second film de patrimoine sur le thème de l’« enfant-menace ».

Faisant suite au succès qu’a connu Mulligan en 1971 avec "Un été 42". "L’Autre" en reproduit à nouveau le cadre estival et solaire pour y raconter l’influence de plus en plus malfaisante d’un jeune garçon sur son frère jumeau, leurs jeux successifs ne cessant de s’achever par des événements toujours plus tragiques. Un pitch à l’aura plus psychanalytique qu’horrifique, vérolant de façon minutieuse ce qui aurait pu n’être qu’une simple chronique nostalgique. Ici, le souvenir est une hantise qui tend à dérégler l’appréhension de la réalité, tandis que le bucolisme n’est qu’une surface renfermant des abîmes de noirceur, certes cadenassés mais n’attendant que la main d’un enfant au visage faussement angélique pour y glisser la clé. Encore trop méconnue aujourd’hui (ce qui reste dur à admettre), cette pépite effrayante ne fait sortir personne indemne de son effroyable mécanique, le spectateur encore moins que les autres.

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Guillaume Gas Envoyer un message au rédacteur

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