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Hallucinations Collectives 2025

Hallucinations Collectives 2025 – Bilan : Sixième jour

LES 5000 DOIGTS DU DR T

"Les 5000 doigts du Dr T" de Roy Rowland - Columbia Pictures

"Les 5000 doigts du Dr T" de Roy Rowland - Columbia Pictures

Durant chaque jour qui précédait la projection ce dimanche matin des "5000 doigts du Dr T", d’aucuns n’ont pas manqué de s’amuser d’un tel titre, lequel aurait parfaitement convenu pour un quelconque film porno des années 70-80 ! Sauf que ce film de Roy Rowland, dont votre serviteur avoue d’ailleurs avoir ignoré l’existence jusqu’à aujourd’hui, est bel et bien une péloche musicale destinée à un public enfantin.

Tous ceux qui ont déjà entendu parler du Grinch ou du Chat Chapeauté ont déjà mis sans le savoir un pied dans l’imaginaire du célèbre Dr Seuss, dont le travail d’écriture et d’illustration pour le jeune public en ont fait une valeur sûre dans les pays anglophones sur plusieurs décennies. Le film dont il est ici question sort quelque peu de l’ordinaire. D’abord parce qu’il s’agit d’un projet conçu spécialement pour le cinéma avec de très gros moyens (des décors géants, une vingtaine de scènes musicales et un scénario de 1200 pages), ensuite parce que le tournage sous l’égide du producteur Stanley Kramer tourna vite au vinaigre pour cause de conflits avec le studio Columbia, enfin parce que les retours catastrophiques du film lors d’une projection-test ruinèrent les espoirs du Dr Seuss de toucher le jeune public.

Visiblement jugé trop zarbi et amputé en conséquence de plusieurs scènes, cet ovni musical pour le moins insolite fut pourtant grandement réévalué par la suite, à mesure que des cinéastes comme Tim Burton ou Joe Dante l’ont reconnu comme l’une de leurs influences. À juste titre ? Oui, car l’explosion de surréalisme et d’expressionnisme qui caractérise l’univers du film est en soi une promesse de jamais-vu relativement tenue. Non, car les chorégraphies musicales, au-delà de paroles très peu inspirées, prennent place pour la plupart dans des choix de production design inexplicablement épurés. Pour être plus clair, on a parfois l’impression d’assister aux répétitions filmées des acteurs et des danseurs dans des décors déjà construits mais pas encore complètement « meublés ». Cela aboutit de facto à un résultat un peu le cul entre deux chaises, mais que l’on se réjouit quand même d’avoir découvert sur grand écran. Mention spéciale à l’acteur Hans Conried, interprète (et modèle physique !) du Capitaine Crochet du "Peter Pan" de Disney, qui prête ici ses traits au fameux Dr T.

ESCAPE FROM THE 21ST CENTURY

"Escape From The 21st Century" de Yang Li - Charybde Distribution

"Escape From The 21st Century" de Yang Li - Charybde Distribution

On nous avait annoncé un concentré anthologique de culture geek capable de concurrencer le "Scott Pilgrim" d’Edgar Wright sur son propre terrain. À l’arrivée, avec encore les jambes qui tremblent et les pupilles dilatées façon stretching, on a surtout un mal fou à se rappeler quand le cinéma chinois avait déjà pu accoucher d’un film aussi dingue. N’ayant failli à aucune de ses promesses, "Escape from the 21st Century" ne s’est pas juste contenté de renvoyer au bac à sable tout le reste de la compétition longs-métrages. Le film de Yang Li a surtout accompli l’exploit d’empiéter puissamment sur un territoire que seuls une poignée d’élus locaux (surtout Tsui Hark et Stephen Chow) avaient jusqu’ici su investir en tant que maîtres absolus, et dont le seul équivalent récent était pour le coup à mettre au crédit d’un tandem de réalisateurs américains (le fameux "Everything Everywhere All at Once" des frères Daniels). Soit le principe de la centrifugeuse narrative visant à renouveler non-stop un postulat narratif pourtant clair comme de l’eau de roche, et ce par une tornade force 5 de strates narratives en zigzag, de ruptures de ton imprévisibles, de tonalités imbriquées les unes dans les autres et de diffractions identitaires en veux-tu en voilà, le tout sans jamais perdre de vue la portée émotionnelle et dramatique de ses enjeux.

Réussissant à assimiler l’ensemble des cultures cinéma, animation, BD et jeu vidéo dans un écrin forgé autour d’un concept bien allumé (en 1999, trois amis chutent par accident dans une eau chimiquement polluée qui leur donne le pouvoir de voyager 20 ans dans le futur lorsqu’ils éternuent !), Yang Li déballe cinquante idées folles à la seconde et remplit chacun de ses cadres avec une multitude de micro-détails impossibles à embrasser en une seule vision. Fort heureusement, ce feu d’artifice de délires visuels et référentiels ne va jamais de pair avec une structure narrative tirant vers le portnawak. La partition émotionnelle du film relève du grand art, et même ses scènes de dialogue les plus simples sont ici scénographiées avec génie, le réalisateur faisant l’effort de transcender son chaos graphique par un travail monstrueux sur la psychologie de ses personnages, avec un sens du burlesque qui touche au faramineux, et assez de niveaux de lectures et d’intrigues cachés pour pouvoir être revu à l’infini…

On aurait du mal à élargir davantage notre analyse de ce chef-d’œuvre insensé tant il fonctionne sur le ressenti immédiat et sensitif. Autant conclure ce concours de dithyrambes par une simple assertion : vous ne savez pas encore ce qui vous attend à partir du 27 août au travers d’une poignée de séances événementielles sur l’ensemble du territoire français. Soyez donc au rendez-vous.

LA MANSION DE LA LOCURA

"The Mansion of Madness" de Juan López Moctezuma - Producciones Prisma

"The Mansion of Madness" de Juan López Moctezuma - Producciones Prisma

Une adaptation d’une célèbre nouvelle d’Edgar Allan Poe par le producteur des premiers films d’Alejandro Jodorowsky, avec une affiche américaine laissant planer les prémices d’un summum d’érotisme cruel et une édition DVD vantant sur sa jaquette l’équivalent d’un « film des Monty Python réalisé par Fellini » ? On était déjà sur les starting-blocks pour signer le chèque en blanc. On se trompait lourdement. Et on en vient surtout à se demander si Juan López Moctezuma avait une idée claire de ce qu’il souhaitait obtenir à l’écran en se lançant dans la réalisation avec "La mansión de la locura".

Avec cette histoire de journaliste visitant un sanatorium français où les aliénés ont pris le dessus sur les médecins et le personnel, la quasi-totalité des parti pris de mise en scène, qu’il s’agisse du montage, de la bande-son, des décors ou du jeu des acteurs (houlà, on va y venir…), n’en rate jamais une pour pousser tous les potards de la comédie involontaire qui se croit sérieuse alors que non. De là vient notre conseil pour les âmes innocentes désireuses de s’aventurer un jour dans ce nanar qui ne s’assume pas : dites-vous simplement que vous allez pénétrer dans un asile de fous où tout le monde n’a pas l’air conscient du scénario ou du rôle qu’il se doit de crédibiliser.

Et on en vient ainsi au détail le plus crispant de ce film : au beau milieu d’une longue dégoulinade d’acteurs à la ramasse qui récitent leur texte avec le regard éteint, un certain Claudio Brook – aussi bien connu pour les films de Luis Buñuel que pour sa participation à "La Grande Vadrouille" de Gérard Oury – décroche haut la main la Palme du surjeu le plus grotesque et le plus forcé qu’on ait vu depuis longtemps sur un écran de cinéma. Rien que son rire bruyant de vilain-qui-jouit-de-sa-supériorité-de-vilain-mégalo-et-cinglé est à deux doigts de nous faire saigner les tympans… Rien à sauver donc de cette entreprise malade ? Oh si, peut-être une ambiance par-ci par-là, une étrangeté à déceler dans deux ou trois cadrages… et aussi ce très curieux matelas en toile d’araignée dont on cherche encore la justification !

DESERT ROAD

"Desert Road" de Shannon Triplett - Filmopoly - Octopus - Spooky Pictures

"Desert Road" de Shannon Triplett - Filmopoly - Octopus - Spooky Pictures

Ne jamais survendre un film… Ne jamais survendre un film… Pari impossible, me direz-vous, mais comment y parvenir dès lors que le coup de cœur subjectif met à mal tout espoir d’objectivité et/ou de consensus ? C’est l’expérience à laquelle il a hélas fallu se confronter avec "Desert Road", auréolé depuis deux ou trois passages en festival d’une aura de petite pépite jubilatoire, et dont les programmateurs du festival n’ont cessé de nous vanter les qualités en dépit du peu d’informations dont nous disposions alors – pas d’affiche ni de bande-annonce. Pour tout dire, l’idée de retomber une fois de plus sur un canevas à base de boucle temporelle nous incitait plutôt à la méfiance, surtout dans le mesure où le jouissif "En boucle" avait déjà infiltré la compétition de l’an dernier et que bon nombre d’autres péloches, du méconnu "Rétroaction" de Louis Morneau jusqu’au définitif "Triangle" de Christopher Smith, nous donnaient déjà l’impression d’avoir fait le tour de la question.

S’il n’a fondamentalement rien d’un échec au sens strict du terme, le premier film de Shannon Triplett – collaboratrice récurrente sur les films de Gareth Edwards – ne risque cependant pas de faire changer d’avis tous ceux – dont votre serviteur – qui ont fini par en avoir un sadoul de ce genre de postulat spatiotemporel. Imaginez que vous roulez en plein désert, et qu’après une halte rapide dans une station-service tenue par un caissier tout sauf net, vous avez un accident de voiture, vous marchez dans une direction pour chercher de l’aide… avant de vous retrouver face à votre voiture en arrivant dans l’autre direction. À partir de là, tout est possible pour expliquer le pourquoi du comment, lequel se verra hélas grillé assez vite par celles et ceux qui se montrent attentifs à la spatialisation concrète du décor et aux déplacements spécifiques des acteurs. Le plus pénible à relever dans cette mécanique moins maline qu’elle n’en a l’air, c’est d’entendre l’héroïne paraphraser à voix haute (et en boucle) ce que l’image nous fait déjà comprendre – il n’y a rien de pire que de voir un film qui commente lui-même sa propre mise en scène au lieu de se limiter à nous laisser s’imprégner d’elle. On passe donc les trois quarts du film à attendre pépère la clôture du récit, tantôt avec un peu d’avance, tantôt avec un peu de retard, mais en ayant conscience que cette boucle temporelle a plutôt valeur de chemin théorique balisé. Et ce n’est pas un compliment.

PAPERHOUSE

"Paperhouse" de Bernard Rose - Working Title Films

"Paperhouse" de Bernard Rose - Working Title Films

L’auteur de ces lignes doit confesser n’avoir jamais oublié sa découverte, pour le coup assez accidentelle, de "Paperhouse". Peut-être parce que sans être préparé à l’avance à affronter d’aussi près les mondes parallèles de l’enfance et les vertiges d’une imagination aussi ambivalente, il était possible pour une certaine génération – pas encore tout à fait sortie de l’enfance et surtout pas foncièrement élevée aux modes stylistiques du cinéma de la fin des années 80 – de trouver des échos très intimes, pour ne pas dire très inconscients, dans une histoire aussi étrange.

Centré sur l’inconscient d’une jeune fille (Charlotte Burke dans le seul et unique rôle de sa carrière) qui parvient à investir les décors et à rencontrer les personnages qu’elle dessine sur son cahier d’écolière, le (meilleur) film de Bernard Rose met ainsi à mal l’idée selon laquelle toute création naissant de l’imagination d’un enfant aurait quelque chose de foncièrement rassurant. Dès son générique de début, qui déroule minutieusement le dessin de cette fameuse maison onirique qui donne son affiche au film, tout paraît clair : le trait du dessin enfantin ne fait que griffonner le réel sous un angle difforme et inquiétant, ce que sa cristallisation en live ne manquera pas de refléter. C’est de ce parti pris très limpide que découle toute la poésie intemporelle et la puissance sensitive du film, donnant à voir un espace troublant, instable et mouvant sur lequel toute perspective de contrôle est vouée à l’échec.

Mais même lorsque le récit dérive vers le macabre, tout reste doux, poétique, délicatement sensible, voire planant au cours d’un dernier quart d’heure devant lequel on peut avoir du mal à retenir ses larmes. Traitant le réel et le rêve à partir des mêmes partis pris (usage des plans-séquence, ambiance éthérée, bande-son hypnotique), Bernard Rose signe mine de rien le grand écart rarissime entre un certain cinoche arty des années 80, une relecture moderne des contes de fées et un pan assez large de cette catégorie de drames psychologiques centrés sur les peurs enfantines. En cela, de par cette aptitude à tisser un monde onirique à visage multiple où la peur et la pureté ne cessent jamais de faire cause commune, le temps n’a aucune emprise sur "Paperhouse". Bilan très positif, en tout cas, pour un jeune réalisateur de clips ayant ici pleinement accompli sa mue cinématographique, deux ans avant d’aller signer le terrifiant "Candyman".

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Guillaume Gas Envoyer un message au rédacteur

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