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Hallucinations Collectives 2025

Hallucinations Collectives 2025 – Bilan : Quatrième jour

LA RÉSIDENCE

"La Résidence" de Narciso Ibáñez Serrador - Anabel Films

"La Résidence" de Narciso Ibáñez Serrador - Anabel Films

Seulement deux longs-métrages pour le cinéma à côté d’une carrière gargantuesque à la télévision espagnole : tel fut le destin du précieux Narciso Ibanez Serrador (décédé il y a déjà six ans), que d’aucuns considèrent – à juste titre – comme le père spirituel du fantastique ibérique contemporain. S’il reste peut-être moins impactant que son second long-métrage ("Les Révoltés de l’an 2000", étape traumatique indispensable pour tout cinéphile normalement constitué), "La Résidence" n’en reste pas moins une porte d’entrée vraiment exceptionnelle pour le cinéma de genre ibérique.

C’est que Serrador, au-delà d’être visiblement perfusé à un imaginaire gothique imposé par "Les Innocents" de Jack Clayton, explore ici un canevas désormais très conventionnel (une jeune héroïne naïve atterrit dans un pensionnat où se déroulent des choses terribles) avec une double lecture en filigrane. Au premier plan, tout semble tenir sur l’exploration des excès découlant d’une discipline rigoriste au sein d’une institution scolaire, et ce pour mieux percer les déviances multiples d’une poignée de personnages tout sauf nets, avec tout ce que cela suppose de jeux de domination et de pulsions refoulées.

A l’arrière-plan, le film vaut surtout pour sa critique intelligemment dissimulée d’un franquisme alors toujours en activité, avec les codes du cinéma de genre et un cadre extérieur à l’Espagne (l’action se déroule en France) en tant que filtres visant à contourner la censure totalitaire de l’époque – ce qui fonctionnera très bien vu l’immense succès local du film. Revoir "La Résidence", c’est se confronter non seulement à un art du cinéma aussi élégant dans ce qu’il suggère que brutal dans ce qu’il dévoile, mais aussi et surtout au film matriciel de tout un pan du cinéma de genre européen, allant de Dario Argento ("Suspiria") à Alejandro Amenabar ("Les Autres") en passant par Jaume Balaguero ("Darkness") – des cinéastes qui ont depuis longtemps reconnu leur dû à Serrador.

EXTREME PRIVATE EROS : LOVE SONG 1974

"Extreme Private Eros: Love Song 1974" de Kazuo Hara - Shisso Production

"Extreme Private Eros: Love Song 1974" de Kazuo Hara - Shisso Production

Ceux qui ont pu participé aux Hallus de l’an dernier et effectué le marathon intégral de ses vingt-sept séances avaient sûrement encore la marque de la baffe infligée par "L’armée de l’empereur s’avance" de Kazuo Hara, énorme surprise documentaire dans laquelle un soldat vétéran japonais de l’armée impériale, déterminé à faire la lumière sur la mort de ses compagnons d’armes, sillonnait l’archipel pour combattre le déni des horreurs de la Seconde Guerre Mondiale, quitte à user lui-même de la force envers ses interlocuteurs.

Rebelote cette année avec "Extreme Private Eros : Love Song 1974" du même réalisateur ? Bof… Savoir que Hara allait cette fois-ci ouvrir grand sa propre intimité au lieu de coller aux basques de celle d’autrui était assez intriguant en soi, mais le résultat, davantage axé sur une génération nippone (en global) et sur son ex-compagne (en particulier), se révèle bien trop erratique dans sa construction pour convaincre. Balayant les aspirations de la jeunesse japonaise des années 60 sur tout un tas de sujets intimes (le sexe, le couple, le collectif, le rapport à l’Autre), Hara se fait témoin objectif – et relativement silencieux – du réel, ne cherchant jamais à arranger la réalité (à commencer par la sienne propre) pour qu’elle serve un propos précis.

C’est hélas la grande faiblesse de ce docu un peu trop lâche dans sa forme, dont les velléités expérimentales ont du mal à dissimuler une relative absence d’angle ou de point de vue, hormis le temps d’un duo d’accouchements filmés plein écran avec une image légèrement floutée (ouf, aucune femme enceinte n’a osé s’aventurer dans cette projection !). Et pour ce qui est de capturer un certain état d’esprit rebelle de l’époque, les scènes montées par Hara ne sont pas à mettre toutes sur un pied d’égalité, le consistant allant hélas de pair avec l’anecdotique. C’est sûr, tout cela est un peu frustrant. Et on a baillé assez souvent…

VAMPIRE HUNTER D : BLOODLUST

"Vampire Hunter D: Bloodlust" de Yoshiaki Kawajiri - Kaze

"Vampire Hunter D: Bloodlust" de Yoshiaki Kawajiri - Kaze

Pour la traditionnelle séance « double-programme » du vendredi soir, l’équipe des Hallus nous a annoncé avoir dû changer quelque peu son fusil d’épaule. En lieu et place d’une soirée placée sous l’égide de nos amis suceurs de sang aux dents longues. Il avait en effet été initialement prévu de célébrer en deux films le talent du réalisateur japonais Yoshiaki Kawajiri, artisan d’un bon paquet d’animés archi-cultes que les accros de la génération vidéoclub se sont repassés en boucle dans leur jeunesse.

Hélas, étant donné que la copie récemment restaurée du fondamental "Ninja Scroll" n’était pas encore disponible, il fut décidé de conserver l’autre grosse péloche animée culte de Kawajiri, laquelle met en scène un hybride iconique à la "Blade", mi-humain mi-vampire, jouant les justiciers à gages dans un monde post-apocalyptique violent où l’humanité a perdu son monopole existentiel et embrasse désormais un statut de bétail sans défense. En l’état, à l’inverse d’Hiroyuki Kitakubo et de son très surestimé "Blood : The Last Vampire" (dans lequel une brillante scène d’intro servait de cache-misère à un univers limité et sans substance), Kawajiri a clairement su, avec "Vampire Hunter D : Bloodlust", concevoir un univers riche et fascinant, terreau de puissantes visions apocalyptiques et d’audaces graphiques qui s’enfilent comme des perles, fort de cette absence de limites propre à la japanimation. Mieux encore : par le biais de personnages moins manichéens et schématiques que prévu, il réussit à servir l’ambivalence de la figure du vampire en convoquant son héritage gothique et mythologique tout en le modernisant par des enjeux très contemporains (en particulier celui de la lutte des classes) et des angles propres au registre de la science-fiction. Encore aujourd’hui, difficile de trouver mieux en matière de film d’animation japonais vampirique.

MARTIN

"Martin" de George A. Romero - Libra Pictures

"Martin" de George A. Romero - Libra Pictures

Le choix du second film de cette soirée vampirique n’aura pas semblé étonnant au vu de l’aura prestigieuse dont il continue de bénéficier. Sixième long-métrage du grand George A. Romero (qu’il réalisa en 1977 juste avant son monstrueux "Zombie"), "Martin" confirme à quel point l’horreur en tant que genre cinématographique a toujours constitué pour lui une arme à double détente. D’abord parce que les angles symboliques offerts par le genre lui permirent toujours de s’imposer en témoin sociopolitique de son époque, ensuite parce que cette vision sèche et naturaliste d’une horreur s’immisçant dans le quotidien, qu’on lui colla trop souvent à la peau (et pas forcément à tort), pouvait s’accompagner d’une certaine tendance à l’expérimentation.

En témoigne cette audacieuse relecture du film de vampire, dans laquelle un jeune adolescent, élevé au sein une famille schtarbée et très portée sur la paranoïa puritaine, s’impose la nuit en serial-killer qui se nourrit du sang de ses victimes après les avoir endormies et violées. Sous couvert de peindre la névrose d’un individu conditionné par les croyances fanatiques dont il est victime, Romero parle une fois encore de l’Amérique et de ses mythologies les plus fondatrices, en laissant un torrent d’images purement référentielles en lien direct avec le 7ème Art (ici incarnées via d’étonnants flashbacks fantasmagoriques en noir et blanc) réveiller le passé mythologique d’une société qu’il filme une fois de plus avec crudité et vérité.

À la fois simple dans ses choix de cadre et sophistiqué dans ses choix de montage, le résultat modernise la figure du suceur de sang en le déconstruisant, et interpelle la notion de croyance via l’extrême dualité de son protagoniste (sujet d’une malédiction ancestrale ou psychopathe on ne peut plus concret ?). De quoi se souvenir d’une époque bénie où Romero laissait sa mise en scène faire tout le boulot et n’avait pas encore ressorti ses morts-vivants du grenier pour se la jouer satiriste politique du dimanche (qui a dit "Land of the Dead" ?). Disparu il y a déjà huit ans, le cinéaste avait d’ailleurs toujours avoué que "Martin" était le film dont il était le plus fier. Ça se comprend.

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Guillaume Gas Envoyer un message au rédacteur

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