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Hallucinations Collectives 2025

Hallucinations Collectives 2025 – Bilan : Dernier jour et Palmarès

LES YEUX DE SATAN

"Les Yeux de Satan" de Sidney Lumet - Paramount Pictures

"Les Yeux de Satan" de Sidney Lumet - Paramount Pictures

Habemus defuncti papam… Oui, bon, on l’avoue, celle-là, elle était facile. Mais que voulez-vous, se réveiller le matin d’un lundi de Pâques en apprenant une telle nouvelle, et ce alors qu’on se précipite en salles pour visionner un film intitulé "Les Yeux de Satan", c’est ce qu’on appelle une amusante coïncidence ! Et comme le film en question, ultime opus de la rétrospective « Instinct gréguerre », prend place dans un lycée catholique pour garçons où de violents incidents éclatent régulièrement entre les élèves, on s’attendait même à une pointe de subversion qui tomberait pile poil à la bonne date du calendrier.

Inutile de se le cacher, on en est quand même loin, ne serait-ce que parce que le résultat fait figure de sage illustration d’un thème antédiluvien (la communauté comme terreau de croyances communes comme d’instincts primaires opposés à l’idée du vivre-ensemble). Pas le film le plus connu de Sidney Lumet, c’est certain. Pas son meilleur non plus, loin s’en faut. Cela étant dit, si le réalisateur n’hésite pas à qualifier ce film d’« anecdotique » au sein de sa prestigieuse filmographie, on se montrera moins catégorique que lui. Parce que, mine de rien, cette adaptation de la pièce de théâtre éponyme de Robert Marasco déploie toute la maîtrise scénique propre au cinéaste emblématique de "Network" et de "Serpico", de même que son goût pour les caractères pressurisés au sein d’un système sociétal précis répond ici présent.

Avec une mise en scène reposant sur la gestion des amorces et l’opposition d’acteurs en flagrant délit de tension (quand avait-on déjà pu voir James Mason incarner la folie paranoïaque comme ça ?), Lumet reste fidèle à son art d’une scénographie faussement théâtrale, revisite chaque échange verbal sous l’angle d’une bataille feutrée où tout se dissimule derrière les mots et les regards, et demeure au plus près de l’ambiguïté de caractères torturés par les sous-entendus et les jeux d’influence, jusqu’à une conclusion glaçante et fataliste pour à peu près tout le monde. Une œuvre peut-être mineure pour son auteur, on en convient, mais largement estimable en soi.

THE SURFER

"The Surfer" de Lorcan Finnegan - The Jokers Films

"The Surfer" de Lorcan Finnegan - The Jokers Films

On est obligé de le confesser : presque chaque année aux Hallus, la compétition longs-métrages se voit « parasitée » par un film qui nous atterre de par son contenu scénaristique et son manque de subtilité. On ne s’attendait cependant pas à ce que ce soit la nouvelle proposition de cinéma du plus grand acteur du monde (c’est le fan qui parle !), ici invitée à refermer une compétition de bonne qualité, qui se retrouve coiffée du bonnet d’âne. Mais les faits sont là, et les craintes relatives au réalisateur niché derrière la caméra se sont hélas confirmées au centuple.

Implicitement en lien thématique direct avec les trois films de la rétrospective « Instinct gréguerre », "The Surfer" coche toutes les cases du film haïssable sur tous ses aspects narratifs, dramaturgiques et visuels. En gros, un père de famille (Nicolas Cage), désireux de racheter la maison de son grand-père sur la côte australienne, décide un jour d’emmener son fils sur la plage de son enfance, et tombe sur une bande de surfeurs tribalistes et violents, dirigés par une sorte de gourou à capuche rouge (Julian McMahon), qui leur bloquent l’entrée vers les vagues. À partir de là, sur la base d’une situation conçue dans le seul et unique but de virer en eau de boudin toutes les deux minutes, tout ne sera que torture, visant aussi bien un Cage de plus en plus malmené et soumis à la déchéance absolue qu’un spectateur pris en otage dans un absurde rollercoaster sadique.

Quand bien même voudrait-on nous faire croire qu’il s’agit là d’une allégorie critique sur les méfaits du masculinisme et la souffrance qu’il impose avec force pour faire atteindre ce « pic de supériorité » à autrui, un tel argument ne tient pas la route. Il suffit tout simplement de revenir à l’époque de "Fight Club" pour saisir en quoi David Fincher, fort d’un humour noir dévastateur et d’une prodigieuse propension à la satire sociétale, avait su explorer ce thème avec intelligence, virtuosité technique, percées incongrues et rejet du moindre zeste de manichéisme. Lorcan Finnegan, fidèle à son idée première de piéger des personnages dans un étau pour leur en faire baver des ronds de chapeau sans aucune raison (revoyez "Vivarium"), ne l’entend pas de cette oreille et se contente de dérouler un canevas constant de pure humiliation, d’une gratuité sans nom, où la caractérisation sommaire de ce troupeau de raclures extrémistes – toujours plus aptes à enfoncer le pauvre protagoniste plus bas que terre – suscite une haine terrible au lieu de chercher à la tordre. On serre les dents jusqu’au bout face à cet authentique négatif d’un "Mandy" infiniment plus audacieux et abouti, tandis que le seul point de vue de mise en scène se limite à accoucher d’une image clippesque en sudation. Et même le grand Nic n’y peut rien. À réserver aux masochistes, donc.

LA FORTERESSE NOIRE

"La forteresse Noire" de Michael Mann - Carlotta Films

"La forteresse Noire" de Michael Mann - Carlotta Films

C’était sans doute LA séance la plus attendue du festival par tous les cinéphiles lyonnais, et pour cause. Après des décennies d’invisibilité relative, qui l’aura vu errer en vain sur Internet ou sur les chaînes câblées américaines dans des versions tronquées toutes différentes, le célèbre « film maudit » de Michael Mann allait enfin connaître les honneurs d’une ressortie en copie restaurée sous la houlette du précieux distributeur Carlotta, lequel aura gratifié les spectateurs des Hallus de l’honneur d’être les tous premiers à la découvrir.

Inutile, pourtant, de s’attendre à ce que Michael Mann ait retourné sa veste vis-à-vis de ce second film à la gestation plus que douloureuse. Ayant vu son montage d’origine charcuté par la Paramount avant sa sortie en 1983 (passer de 3h30 à 1h36, c’est dur !), le réalisateur célébré de "Heat" et de "Miami Vice" persiste à vouloir laisser "La Forteresse Noire" le plus loin possible derrière lui. Doit-on lui donner raison ? Disons que le résultat continue de susciter autant de fascination que d’embarras. A mi-chemin entre horreur pure et drame symbolique, ce curieux ovni propulse un savant juif et sa fille au beau milieu d’un affrontement allégorique entre deux figures absolues du Mal : une armée de soldats nazis d’un côté, une sorte de Golem lovecraftien (designé par le dessinateur Enki Bilal !) de l’autre.

Bien longtemps avant d’exploiter les mille nuances de la nuit urbaine américaine via son savant triturage du filmage HD, Michael Mann expérimentait déjà de puissants partis pris de stylisation, mêlant éclairages sophistiqués et sonorités électroniques (merci Tangerine Dream !), à la manière d’un expressionnisme allemand contaminé par les canons modernistes des années 80. Rempli d’idées visuelles novatrices pour l’époque (mais aujourd’hui d’un kitsch à se rouler par terre), "La Forteresse Noire" trébuche pourtant dans sa noble ambition de combiner une recherche graphique très affirmée avec un propos idéologique potentiellement très riche, la première fonctionnant hélas en autonomie au détriment du second (et vice versa). En résulte une parabole ésotérique assez inaboutie, certes fascinante d’un strict point de vue conceptuel, mais dénaturée pour les raisons que l’on sait et que l’on ne (re)verra jamais sous forme du chef-d’œuvre halluciné qu’il aurait pu être. Au moins, le film est désormais visible dans de bonnes conditions (la restauration lui redonne un tant soit peu d’impact), et c’est déjà en soi une satisfaction.

REFLET DANS UN DIAMANT MORT

"Reflet dans un diamant mort" de Hélène Cattet et Bruno Forzani - UFO Distribution

"Reflet dans un diamant mort" de Hélène Cattet et Bruno Forzani - UFO Distribution

Finir sur une apothéose cinématographique n’est pas quelque chose de rare au sein de nos Hallus adorées. Savoir à l’avance que la séance de clôture allait braquer à nouveau les projecteurs sur deux de nos réalisateurs les plus précieux, en l’occurrence Hélène Cattet et Bruno Forzani, était même un signe qui ne trompait pas. Sans surprise, avec "Reflet dans un diamant mort", le couple révélé il y a déjà seize ans avec le génial "Amer" a encore réussi à tout pulvériser sur son passage, élevant au statut 2.0 une approche du langage cinématographique sur laquelle ils n’ont aucun égal sur Terre et accouchant in fine d’un nouveau chef-d’œuvre de sensorialité fétichiste, à la structure encore plus cubiste et labyrinthique qu’à l’accoutumée, sur lequel les mots nous manquent encore en sortie de projo.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on se contentera de ne pas aller plus loin dans l’analyse de ce qui s’est clairement imposé comme le meilleur film de cette sélection des Hallus, préférant ainsi prendre le temps de réinvestir à tête reposée ses fascinantes méandres afin de revenir dessus très prochainement, en préparation de sa sortie en salles fixée à fin juin… Quant au bilan global de cette 18ème édition, outre une diversité thématique qui a tenu toutes ses promesses et engendré des réceptions très souvent clivantes (tant mieux), le pic de fréquentation battu ne laisse encore augurer que du meilleur pour l’année prochaine. Bien entendu, on y sera. Et on prend d’ores et déjà notre mal en patience.

LE PALMARÈS DES HALLUS 2025 :

Grand Prix de la compétition longs-métrages
"U Are the Universe" de Pavlo Ostrikov

Grand Prix de la compétition courts-métrages
"The Meaningless Daydreams of Augie & Celeste" de Pernell Marsden

Prix du Jury pour la compétition longs-métrages
"U Are the Universe" de Pavlo Ostrikov

Prix du Jury Lycéen pour la compétition courts-métrages
"The Meaningless Daydreams of Augie & Celeste" de Pernell Marsden

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Guillaume Gas Envoyer un message au rédacteur

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