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Hallucinations Collectives 2025
Hallucinations Collectives 2025 – Bilan : Cinquième jour
COMPÉTITION COURTS MÉTRAGES

"Genealogy of Violence" CM de Mohamed Bourouissa – Manifest
Ce week-end de Pâques a hélas commencé sur une cruelle désillusion. On a beau investir chaque année la compétition courts-métrages en sachant à l’avance que la meilleure tactique consiste ici à picorer tout ce que l’on nous donne à bouffer, avec des jugements variés sur la façon dont ces petits amuse-bouches filmiques ont été cuisinés, on n’a pas souvenir d’avoir assisté dans le passé des Hallus à une sélection aussi décevante. Pour tout dire, et c’est sans doute une première, pas un seul des neuf courts présentés ne fut un coup de cœur, ni même une agréable découverte proposant un tant soit peu de nouveauté.
Comme nous sommes sur ce site de grands amateurs de films d’animation, autant commencer par signaler que les deux seuls représentants du genre à relever dans cette compétition avaient valeur de boucles narratives on ne peut plus infernales. D’abord l’illisible et interminable "Déluge" de Meejin Hong, où un écran blanc vire progressivement au noir total à mesure que des motifs animés répétés en boucle en viennent à l’inonder sur fond d’une bande-son qui tape fort sur le système. Ensuite l’irritant "A Round of Applause for Death" de Stephen Irwin, qui se limite à répéter le même mantra de quatre termes dans un ensemble rappelant – en dix fois moins bon – les premières boucles animées d’un certain étudiant en arts plastiques nommé David Lynch.
À côté de ça, dans un registre déjà moins propice au carton rouge, on a pu distinguer une certaine propension de certains cinéastes – quatre en l’occurrence – à zieuter un peu trop sur des voisins trop estampillés « auteurs » et donc trop identifiables pour espérer tutoyer une quelconque personnalité. Le Néerlandais "Femme" singe l’éternelle mutation du corps adolescent féminin en mode body horror sur fond de rapports sexuels de plus en plus intenses… sauf qu’on est très loin de Julia Ducournau et donc à des années-lumière de David Cronenberg. Le Taïwanais "A Brighter Summer Day for the Lady Avengers" tente de combiner le cinoche moite et poseur de Tsaï Ming-Liang (en plus, il y a une pastèque au cœur du récit !) avec les fétiches sensoriels du duo Cattet-Forzani (mais sans réussir à l’entretenir sur la durée). L’Australien "The Meaningless Daydreams of Augie & Celeste" se la joue "Poison for the Fairies" du pauvre avec ses deux gamines larguées dans un mélange pas net de soap malsain et de folk horror bon marché. Quant au Britannique "Autophagy", il se contente de causer solitude et douleur sur fond d’épidémie, le long d’un court en stop-motion presque aussi grisâtre et déprimant qu’un film d’Aki Kaurismäki.
Enfin, comme il fut surtout question de corps mis à l’épreuve dans cette anthologie en neuf points (cela fait au moins une sorte de fil directeur minimal), les trois ultimes propositions se sont contentées de faire chacune leur délire sans garantie d’effet secondaire à la sortie. En gros, les corps nus de l’Estonien "Sauna Day" se bornent à jouer un étrange rituel homo-érotique au détriment du moindre enjeu dramaturgique ou sensoriel, le cri de colère féministe d’"Izzy" fait sourire une minute sur cinq pour cause de plans fixes qui s’étirent en longueur à ses extrémités (du coup, on a tôt fait d’oublier ce qui ressemble plus à une parenthèse qu’autre chose), et le contrôle policier de "Généalogie de la violence" s’égare dans un amas de trucages graphiques et de matière cinétique pour cibler la peur intérieure qui fait se figer le temps – avec un dialogue bien pesant pour refléter la pensée du protagoniste. Rien d’inintéressant en soi, c’est sûr, mais que de l’inabouti à se mettre sous la dent pour un programme qui nous a laissé avec l’envie de retourner bouffer du long-métrage bien énervé, histoire de se remplir l’estomac…
DANIELA FOREVER

"Daniela Forever" de Nacho Vigalondo - XYZ Films
Bon, côté « long-métrage énervé », il aura fallu encore patienter un peu… Le retour à la compétition longs-métrages fut en effet une douce invitation à nager dans les eaux de la romance fleur bleue avec l’ibérique "Daniela Forever" de Nacho Vigalondo. On s’attendait un peu à tout de la part du réalisateur du stimulant "Timecrimes" et du conceptuel "Open Windows", mais sans doute pas à un tel résultat, marchant à plus d’un titre sur les plates-bandes sentimentales de Spike Jonze et de Michel Gondry, sans la dimension méta-textuelle du premier ni les bidouillages manuels du second.
Le pitch du film fait un peu figure de dérivation inversée d’"Eternal Sunshine of the Spotless Mind", dans laquelle un homme, marqué par la mort accidentelle de sa petite amie, accepte de participer à une expérience lui permettant de la retrouver au sein d’un rêve lucide (celui où le sujet est lui-même conscient de rêver – revoyez "Vanilla Sky"). En fait, à la seule lecture du pitch, on pense déjà avoir percé le centre névralgique du récit : un individu qui profite du rêve pour s’isoler encore plus du reste du monde avec le souvenir de l’être aimé au lieu de chercher à trouver le moyen de transcender un deuil qu’il s’échine à fuir. Au bout du compte… c’est exactement ça. Sauf que l’affaire semble pliée en à peine un quart d’heure, et qu’à l’inverse de bien d’autres films (notamment ceux de Gondry et de Crowe cités plus haut), ce principe narratif visant à basculer du rêve à la réalité restera aussi invariable que les personnages qui s’agitent en son sein. À croire que Vigalondo aurait fini par tourner en boucle dans son propre concept, allant même jusqu’à expliciter lourdement sa dichotomie rêve/réalité via un grossier système de cadrage (image carrée et basse définition pour le réel, format Scope et haute définition pour le rêve). Un film qui grille son point de départ en un temps record pour se contenter par la suite de ressasser les mêmes éléments, ça porte hélas un nom : un exercice de style sous cloche. Dommage, ça avait si bien démarré…
VENENO PARA LAS HADAS (POISON FOR THE FAIRIES)

"Poison for the Fairies" de Carlos Enrique Taboada - Vinegar Syndrome
Découvrir des films rares et quasi invisibles, c’est déjà formidable. Découvrir des cinéastes assez fondamentaux dans leur pays d’origine mais dont les films n’avaient jusqu’ici jamais – ou trop peu – franchi nos frontières cinéphiles, c’est encore mieux. Saluons ainsi l’éclectisme de l’équipe des Hallus qui nous avoir permis d’enregistrer dans un coin de notre cortex le nom de Carlos Enrique Taboada, cinéaste mexicain récemment redécouvert et honoré par une rétrospective à la Cinémathèque française, et dont le "Veneno para las hadas" (on préfère le titre original !) aura constitué pour l’occasion une très intéressante découverte cinéphile.
En lien plus ou moins filtré avec le "Paperhouse" de Bernard Rose (projeté le lendemain et lui aussi centré sur la thématique de l’« enfant-monde »), cette pépite cruelle façonne en effet une sorte d’espace-monde gothique où le regard d’une enfance fascinée par l’occultisme tend à soumettre le réel à son imagination de plus en plus inquiétante. Un regard exclusif incarné en l’occurrence par deux jeunes filles – la première, perverse et manipulatrice, la seconde, naïve et curieuse – dont la relation prend une tournure inquiétante dès l’instant où l’une tente de convaincre l’autre qu’elle est une sorcière. On voit d’ici les possibilités de jeux cruels et d’imagination vérolée que pouvait offrir un tel pitch.
Mais Taboada ne s’en est pas contenté, osant surtout faire reposer toute sa mise en scène poétique sur une idée maline : laisser ses deux jeunes héroïnes réinvestir le cadre et le monde qui les entoure en privant ces derniers du moindre point de vue adulte. Capturé uniquement via des amorces, des gestes ou des postures filmées de dos, l’adulte n’a ici aucune voix au chapitre, pas d’incarnation, pas de visage visible à l’écran (sauf lorsqu’il est à l’état de cadavre !). Une manière habile de donner à sentir peu à peu la bascule cauchemardesque, pour ne pas dire carrément toxique, qui tend à s’amplifier au fil des scènes. La conclusion du récit, cruelle autant que paroxystique, a de quoi laisser sans voix.
U ARE THE UNIVERSE

"U are the Universe" de Pavlo Ostrikov - ForeFilms - Stenola Productions
Pour le second film en compétition de la journée, on avoue que là, les planètes étaient alignées pour aboutir à un sentiment collectif on ne peut plus partagé. Des films de science-fiction qui ont pris soin de détailler des aventures spatiales dans un contexte post-destruction de la planète Terre, ça n’est pas si nouveau que ça – même Don Bluth s’y est essayé. Et quand on vous invite à suivre la destinée peu encourageante d’un camionneur de l’espace se retrouvant soudainement tout seul dans l’univers après que notre planète plus si bleue ait explosé en mille morceaux, il y a de quoi se sentir en terrain connu vis-à-vis du thème de la solitude dans un cadre spatial – du "2001" de Stanley Kubrick au très beau "Moon", les exemples ne manquent pas.
C’est bien là le seul mini-regret que l’on puisse avoir sur "U are the Universe" : ce film arrive un peu après la bataille. Pour autant, c’est peu dire qu’il sait toucher au cœur, qu’il émeut durablement, et que sa finition technique demeure assez impressionnante pour un projet conçu sur pas moins de sept années par une équipe ukrainienne peu à peu aspirée par le conflit en cours. En l’état, hors de question que l’on se permette de spoiler davantage l’évolution du récit – mieux vaut découvrir le film en en sachant le moins possible. Contentons-nous de signaler et de saluer le caractère universel d’une telle ode à l’entraide et au contact humain (qu’il soit verbal ou physique) dans un monde où l’individualisme menace d’aspirer l’humanité dans un néant qui lui pend au nez.
Signalons aussi le renouvellement d’une mise en scène qui profite de son minimalisme pour tisser ici et là de belles échappatoires/parenthèses, parfois même avec humour, comme en témoigne une intelligence artificielle très portée sur les blagues pas drôles et un petit gag visuel en écho direct au chef-d’œuvre de Kubrick. Concluons enfin en disant que cette pépite SF en provenance d’Ukraine est un grand moment de cinéma à ne rater sous aucun prétexte et à savourer de préférence dans le confort d’une salle obscure. Que sa double victoire au palmarès ait été un geste politique ou pas importe peu.
FREEWAY

"Freeway" de Matthew Bright - Metropolitan FilmExport Distribution
En guise d’apothéose pour cette journée, retour à notre précieux Cabinet des Curiosités avec une péloche ultra-culte pour l’auteur de ces lignes… Il serait trop long de faire la liste de tout ce que "Freeway" a pu créer de positif. En vrac : révélation d’un jeune réalisateur inconnu (Matthew Bright) et d’une stupéfiante actrice qui l’était alors tout autant (Reese Witherspoon), confirmation que Kiefer Sutherland n’a pas d’égal pour incarner les psychopathes les plus tordus de la création, aspirateur à prix au Festival de Cognac en 1997, carton cosmique en vidéoclub, réputation de virée trash et très mal élevée…
Sauf que derrière ce premier film (parrainé par Oliver Stone et le regretté Samuel Hadida) ne se cache pas seulement un coup d’éclat comme certains festivals de cinéma savant en générer une ou deux fois par an. En osant ré-explorer l’univers des contes de fées (en l’occurrence celui du Petit Chaperon Rouge) sous un angle trash et moderne, via un parti pris visant à en revisiter les codes tout en les vérolant de l’intérieur, Matthew Bright opère surtout une apnée perverse dans une Amérique tarée au-delà du raisonnable. Ici, pas de gamine désireuse de rendre visite à sa grand-mère malade, mais plutôt une adolescente nihiliste, égarée entre un beau-père qui n’arrête pas de la peloter et une mère junkie qui se prostitue pour payer sa dose de crack. Et en guise d’animal assoiffé de chair fraîche, rien de tel qu’un pédopsychologue cachant sous ses airs de quadra bien sous tous rapports quelque chose de bien moins reluisant…
On ne révélera surtout pas la suite, si ce n’est en précisant que ce dévissage des bas instincts d’une Amérique à double visage ira alors de pair avec un yo-yo constant entre les rôles de bourreau et de victime. Bright ne fait pas dans la dentelle, tutoie le grotesque avec gourmandise, vise aussi bien le mauvais goût total que le rire jaune qui grince, et rentre dans le lard du cocon WASP tel un morpion gangrené par la rage. Et c’est peu dire que son actrice principale lui emboîte le pas : pas encore bonne à incarner les blondes pas si futiles ou les épouses de chanteurs décédés, Reese Witherspoon trouvait ici une fracassante carte d’entrée en embrassant les contours d’un personnage ambigu, incorrect et irrévérencieux sous son apparente carapace de victime sociale.
N’ayant jamais volé son étiquette de virée 100% trash et mal élevée, "Freeway" continue de laisser son audience sonnée comme un gong en sortie de projection. Frustration, cela dit, de n’avoir pas vu Matthew Bright persévérer ensuite dans cette autoroute de la provocation : après avoir offert à "Freeway" une suite encore plus dégénérée (une relecture vaudou de Hansel & Gretel avec Vincent Gallo dans un rôle gratiné de sorcière pédo-trans-cannibale !), le bougre n’a hélas plus trop donné de signes de vie. Encore une étoile filante, une de plus…
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Guillaume Gas Envoyer un message au rédacteur